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et pour donner la mesure des avantages que les premières ont sur les autres, c’est au calcul seul qu’on se rapporte. On suppute les dépenses des établissemens particuliers ; on montre les faux frais, les non-valeurs, les doubles emplois, les pertes matérielles auxquelles leur exiguïté les expose ; on met en regard le compte des dépenses et des produits d’un établissement plus vaste fondé en société, et on arrive presque toujours à trouver en faveur de celui-ci des économies notables. Les calculs sont précis, les déductions logiques, les résultats irrécusables. Cependant, quand on en vient à l’exécution, on voit avec étonnement que les établissemens particuliers, menacés par cette redoutable concurrence, restent debout, supportant sans effort le poids de leurs faux frais et de leurs pertes, tandis qu’avec toutes leurs combinaisons économiques les sociétés se ruinent. C’est qu’il y a là des influences morales dont on oublie de tenir compte et qui déjouent tous les calculs. Les établissemens particuliers se soutiennent par la vigilance et l’activité dans les chefs, par l’exactitude et la retenue dans les employés, par l’accord de toutes les parties et l’économie dans les détails ; les entreprises fondées en grand par les sociétés se perdent par tous les défauts contraires. Bientôt, à un premier élan d’activité dans les chefs succèdent l’indolence, et l’incurie ; ils se fatiguent d’ailleurs à suivre de l’œil des opérations trop vastes pour leur courte vue : à l’exemple des chefs, les employés se relâchent ; le défaut d’ensemble et de concert se manifeste ; le désordre gagne en se cachant sous une régularité apparente, et enfin le gaspillage achève ce que le désordre a commencé. C’est là l’histoire de bien des associations passées ou présentes ; c’est celle de la plupart des établissemens publics qui peuvent, à cet égard, être considérés comme de grandes sociétés ; ce serait celle encore des institutions rêvées par nos différentes écoles sociétaires, s’il était jamais donné à ces institutions de se réaliser. Sans méconnaître donc les avantages que les associations peuvent offrir dans certains cas, même lorsqu’elles se mesurent avec les particuliers, il est permis de dire qu’ils ne sont ni aussi grands ni aussi généraux qu’on le suppose, et il ne faut pas oublier les inconvéniens naturels qui les balancent.

Ces inconvéniens s’atténuent beaucoup cependant, lorsque l’opération est de telle nature qu’elle puisse être assujettie à une marche régulière et stable, où le travail soit uniforme et réglé, où chaque jour ramène à peu de chose près le mouvement de la veille, et où chaque employé trouve sa besogne tracée d’avance. C’est ce qui a lieu surtout là où tout se réduit presque à un travail de comptabilité, comme, par exemple, dans les maisons d’assurance et de banque.

L’association est encore applicable aux établissemens qui exigent, comme les banques, un large développement du crédit, parce qu’une société puissante inspirera toujours plus de confiance qu’un particulier, quel qu’il soit. Il en est de même pour les opérations dans lesquelles il y a des risques à garantir, soit parce qu’en général les risques peuvent, lorsqu’ils sont pris sur une large échelle, se mesurer suivant le calcul des probabilités, et cessent ainsi de présenter des dangers réels, soit parce qu’il convient mieux à des associations