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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

combien d’heureuses applications n’est-elle pas susceptible ! Par elle, il n’est point d’entreprises inabordables à l’homme, point de travaux gigantesques qu’il ne puisse exécuter.

Il ne faut pas croire pourtant que, même dans les limites des spécialités et dans la sphère bornée des entreprises industrielles ou commerciales, l’association soit d’une application universelle. L’accroissement de puissance qu’elle engendre n’est pas absolu, mais relatif, et, s’il est vrai qu’elle centuple en certains cas les forces de l’homme, c’est en ce sens seulement qu’elle les réunit en masse sur un point donné quand la grandeur de l’objet l’exige. Autrement, loin qu’il y ait en pareil cas un accroissement absolu de puissance, il est certain que chacune des individualités réunies par l’association perd dans cette réunion même quelque chose de sa valeur propre. Quelle que soit donc l’utilité des sociétés dans certaines opérations de l’industrie et du commerce, les entreprises individuelles conservent ailleurs tous leurs droits. Si les premières ont pour elles la puissance qu’engendre l’union des forces, les autres se soutiennent par l’énergie de l’intérêt privé. Elles ont pour elles l’avantage incalculable de l’activité dans les opérations, de l’économie dans les frais et de l’attention vigilante dans les détails. Il n’est pour voir que l’œil du maître, a dit La Fontaine ; or, l’œil du maître préside à toutes les opérations des particuliers ; il est absent dans les opérations des sociétés, au moins de celles qui sont instituées en grand, et il est difficile d’imaginer tous les préjudices que cette absence entraîne. Ajoutons que la vigilance d’un homme, son activité, son attention, ont des bornes, et que le directeur d’une grande entreprise, y fût-il aussi attaché qu’à une affaire personnelle, ne pourrait jamais porter sur tous les détails une attention aussi soutenue que si l’opération était renfermée dans de plus étroites limites. Aussi l’association ne doit-elle être adoptée, même dans le cercle des intérêts industriels et commerciaux, que lorsqu’il y a pour elle des motifs sérieux, des motifs déterminans, de préférence. Ces motifs, quels sont-ils ? Il serait difficile de les exposer tous. Bornons-nous à quelques indications générales.

Et d’abord, l’association est nécessaire, toutes les fois qu’une opération excède les facultés individuelles. Dans ce cas, l’intervention des particuliers étant impossible, il n’y a pas à choisir.

Lors même qu’une opération n’excède pas les forces des particuliers, il peut se faire qu’il y ait avantage à l’exécuter sur une grande échelle, soit parce qu’on peut alors recourir à l’emploi des machines trop coûteuses ou d’un trop grand produit pour des établissemens médiocres, soit parce qu’on arrive, dans un vaste établissement, à obtenir, à l’aide d’une meilleure coordination du travail et d’une distribution plus régulière, une certaine économie dans les frais.

Il faut pourtant, dans les affaires de ce genre, se défier des apparences, se défier même des chiffres, et n’accueillir qu’avec réserve les calculs les plus précis. Il arrive souvent qu’on veut ramener dans le domaine des sociétés certaines opérations exécutées jusqu’alors avec bonheur par les particuliers,