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naisons de l’association un progrès semblable à celui qui se manifeste si visiblement dans les procédés de l’industrie. Dans l’enfance de l’industrie, le phénomène de la production est simple, en ce sens que toutes ses opérations se font en bloc, s’accomplissent dans le même lieu et par les mêmes mains. Un même homme arrache la matière première au sol qui la produit, la façonne au gré des besoins qu’elle doit satisfaire, et la livre toute préparée au consommateur qui la réclame. Plus tard, et à mesure que le progrès se manifeste, le travail se divise, les opérations se détachent les unes des autres ; chacun des actes de la production s’accomplit séparément et par autant de mains. Plus l’industrie se perfectionne, plus cette division s’étend, à tel point qu’une division du travail poussée à ses dernières limites est le caractère le plus distinctif d’une industrie avancée. Il en est ainsi de l’association. Dans les temps barbares, elle est simple, elle est une : tout ce que l’homme a d’aptitude sociale s’exerce dans un cercle unique, qui est d’abord celui de la famille, et bientôt celui de la société politique. Mais plus tard, au lieu d’un cercle unique il s’en forme plusieurs, entre lesquels la vie de l’homme se partage ; plus on avance, plus les cercles se multiplient en se spécialisant dans leur objet. Et comme dans l’industrie la division des travaux et leur spécialisation croissante tendent à augmenter de jour en jour leur puissance productive, de même, à mesure que l’association se divise, la vie sociale gagne en étendue, en profondeur et en intensité.

Laissons donc ces vaines doctrines qui, sous prétexte de favoriser le progrès de la sociabilité humaine, voudraient nous assujettir aux lois absolues d’une société unique. Doctrines mensongères, trop long-temps et trop favorablement écoutées ! Elles ne sont pas même des utopies, comme les appellent quelquefois ceux qui les combattent, mais des erreurs grossières, fondées sur une fausse intelligence des besoins et des instincts de l’homme. Loin de pousser l’humanité dans les voies de l’avenir, elles ne tendraient qu’à la ramener vers son berceau. Disons hardiment, en nous fondant sur le raisonnement et l’expérience, que l’association, au lieu de marcher vers l’unité pétrifiante que l’on invoque, est conduite par l’irrésistible mouvement du progrès vers une décomposition croissante de ses élémens primitifs. Toute société trop absolue et trop étroite se relâchera ; toute société qui embrasse des objets divers se spécialisera, et le principe de l’association n’aura fait qu’y gagner en force et en étendue. La société politique elle-même, qui n’est, comme tant d’autres, qu’une des manifestations particulières de la vie sociale, tendra, comme elle l’a déjà fait, à se renfermer de plus en plus dans sa fonction spéciale, qui est de maintenir la justice ou de protéger le droit.

Appliquée avec mesure, et dans les limites des spécialités qui la comportent, l’association est un levier d’une grande puissance. C’est un principe d’une admirable fécondité que l’homme invoque à chaque pas dans sa lutte éternelle avec la nature. En réunissant les forces individuelles dans un foyer commun, l’association peut centupler leur puissance et l’élever au niveau des plus hautes conceptions. Dans l’industrie et le commerce en particulier, de