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par reconnaissance de l’hospitalité qu’il y avait trouvée. Les Soirées sont le plus beau livre de M. de Maistre, le plus durable, celui qui s’adresse à la classe la plus nombreuse de lecteurs libres et intelligens. On ne lit plus Bonald, on relit comme au premier jour son libre et mordant coopérateur. Chez lui, l’imagination et la couleur au sein d’une haute pensée rendent à jamais présens les éternels problèmes. L’origine du mal, l’origine des langues, les destinées futures de l’humanité, — pourquoi la guerre ? — pourquoi le juste souffre ? — qu’est-ce que le sacrifice ? — qu’est-ce que la prière ? — l’auteur s’attaque à tous ces pourquoi, les perce en tous sens et les tourmente : il en fait jaillir de belles visions. La forme d’entretien amène à chaque pas la variété, l’imprévu, met en jeu l’érudition, justifie la boutade et le sarcasme, tout en laissant jour à l’effusion et à l’éloquence. Le chevalier, le Français, homme du monde et honnête homme, c’est le bon sens noble, ouvert et loyal ; le sénateur, le Russe-grec, c’est la science élevée, religieuse, un peu subtile et irrégulière, c’est l’élan philosophique ; le comte est ou veut être le théosophe prudent et rigoureux : on a, dans ce concert des trois, quelque chose d’un Platon chrétien. Celui qui consent à se laisser emporter dans cette sphère supérieure, et à diriger son regard selon le rayon, sent par degrés, en montant, de grandes difficultés s’aplanir, et bien des notes discordantes d’ici-bas s’apaiser en harmonie.

En lisant les Soirées, on se demande involontairement : M. de Maistre était-il donc un pur catholique du passé ? Ne se rattachait-il par aucune vue, par aucun éclair, à ce christianisme futur dont M. de Châteaubriand lui-même, en ses derniers écrits, semble ne pas répudier la venue[1], dont M. Ballanche a semblé, dès l’abord, ouïr et répéter avec douceur les vagues échos ? M. de Maistre, malgré tout ce qu’on peut dire, en croyant bien n’en pas être, et en protestant contre, n’y conspirait-il point, autant que personne, par mainte pensée hautement échappée ? Et, s’il n’y a rien de nouveau en lui, comment se fait-il que, sur ses drapeaux, la plus novatrice des sectes religieuses de notre âge ait pu inscrire à son heure tant de paroles prophétiques, à lui empruntées, pour manifeste et pour devise ?

Ce sont là des questions que nous posons à peine, mais qui se lèvent devant nous ; et, comme la lecture de De Maistre met, bon gré

  1. Voir les Études historiques, chapitre de l’exposition : « Le christianisme n’est point le cercle inflexible de Bossuet ; c’est un cercle qui s’étend à mesure que la société se développe… »