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était l’instant présente, s’assimilant tout du vrai, et en chaque doctrine qui se présentait, martinisme ou autre, séparant le faux comme à l’aide d’un centre discernant et d’un foyer épurateur ; discrimen acre. Ici point de concessions, de doutes, d’influence vaguement reçue, de limites indécises. L’omniprésence de sa foi y pourvoyait. Si j’en crois de bons témoins, il mérite d’être reconnu celui de tous les hommes peut-être en qui un tel phénomène s’est le plus rencontré et qui s’est le moins permis.

Sa parole semblait aller libre et mordante, sa pensée était sûre, sa vie grave ; vraiment religieux dans la pratique, il n’avait rien de ce qu’on appelle dévot.

Sur les choses purement politiques, il avait une conviction qu’on pourrait dire secondaire, un peu de ce mépris ultramontain à l’endroit des puissances par où a commencé feu l’abbé de Lamennais. Il pourrait bien m’être arrivé, écrit-il quelque part très ingénieusement, le même malheur qu’à Diomède, qui, en poursuivant un ennemi devant Troie, se trouva avoir blessé une divinité. — Il est persuadé qu’à choses nouvelles il faut hommes nouveaux, et qu’après la restauration les vieux et lui-même sont hors de pratique. — On lui parlait un jour de quelque défaut d’un de ses souverains : « Un prince, répondit-il, est ce que le fait la nature ; le meilleur est celui qu’on a. » Il disait encore : « Je voudrais me mettre entre les rois et les peuples, pour dire aux peuples : Les abus valent mieux que les révolutions ; et aux rois : Les abus amènent les révolutions. »

À l’article de Rome, il n’a nul doute ; il accorde tout, et plus même que certains Romains ne voudraient. Ce fameux passage des Soirées sur un esprit nouveau, sur une inspiration religieuse nouvelle, a été interprété dans le sens le plus contraire au sien, et il s’en serait révolté, affirment ses amis les plus chers, s’il avait vécu : « Ce serait la pensée la plus capable de réveiller sa cendre, si elle pouvait être réveillée par nos bruits. » Il accordait tout à Rome et tellement, qu’il lui accordait cette évolution nouvelle qu’elle se suggérerait à elle-même ; mais il ne l’admettait pas hors de là[1].

  1. Il faut convenir pourtant que la phrase est telle qu’on a pu s’y méprendre ; la voici, un peu construite et condensée, comme l’on fait toujours lorsqu’on tire à soi : « Il faut nous tenir prêts pour un évènement immense dans l’ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs. Il n’y a plus de religion sur la terre, le genre humain ne peut rester en cet état… Mais attendez que l’affinité naturelle de la religion et de la science les réunisse dans la tête d’un seul homme de génie. L’apparition de cet