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JOSEPH DE MAISTRE.

logie, si elles s’appuient sur des idées universelles, si surtout elles sont consolantes et propres à nous rendre meilleurs, que leur manque-t-il ? Si elles ne sont pas vraies, elles sont bonnes ; ou plutôt, puisqu’elles sont bonnes, ne sont-elles pas vraies ? »

Un second aspect des Considérations, c’est celui des évènemens positifs et des jugemens historiques que l’auteur y a appliqués ; on n’en saurait assez admirer la sagacité et la portée précise. Une foule de vues qui n’ont prévalu et n’ont été vérifiées que par la suite apparaissent là pour la première fois ; l’auteur, en ayant l’air de tirer à bout portant dans la mêlée, a prévenu et indiqué d’avance les visées de l’histoire. Aussi, tous ceux qui ont passé après lui dans l’étude de ces temps l’ont-ils pris, même ses adversaires politiques, en haute et singulière estime. M. de Maistre a très bien vu le premier que, le mouvement révolutionnaire une fois établi, la France et la monarchie (c’est-à-dire l’intégrité des états du roi futur) ne pouvaient être sauvées que par le jacobinisme[1]. Le discours idéal qu’il prête (chap. II) à un guerrier au milieu des camps, pour exhorter ses compagnons d’armes à sauver la France et le royaume quand même, est d’une éloquence politique qui parle d’elle-même à toutes les ames : il conclut par ces paroles si souvent citées, et que M. Mignet inscrivait, il y a près de vingt ans, en tête de son histoire : « Mais nos neveux, qui s’embarrasseront très peu de nos souffrances et qui danseront sur nos tombeaux, riront de notre ignorance actuelle ; ils se consoleront aisément des excès que nous avons vus, et qui auront conservé l’intégrité du plus beau royaume après celui du ciel. » — Le rôle, la fonction, la magistrature de la France entre toutes les nations d’Europe n’a été nulle part plus magnifiquement reconnue. Langue universelle, esprit de prosélytisme, il y voit les deux instrumens et comme les deux bras toujours en action pour remuer le monde.

Un troisième et remarquable aspect qui, dans les Considérations, se rattache au précédent, et qui prouve à quel point l’auteur avait bien vu, c’est le nombre de conjectures, de promesses, et même de prédictions qui se sont trouvées justifiées. Sous la question, toute civile et politique en apparence qu’elle était devenue, il découvre le caractère religieux, le sens théologique si vérifié par ce qui s’est produit à nos yeux depuis quarante ans, et lors de la grande réaction de 1800, et dans ce mouvement actuel, persistant et encore inépuisé

  1. C’est aussi l’opinion formelle d’un connaisseur très intéressé dans la question, de celui qui n’est autre que ce premier roi futur (j’en demande bien pardon à M. de Maistre). — Voir les Mémoires de Napoléon, tome I, page 4.