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deur même de la catastrophe : la voix de Dieu s’élance toute majestueuse du milieu des orages du Sinaï. En quoi la nation française est coupable, en quoi les ordres immolés ont mérité de l’être, comment il y a solidarité au sein du même ordre, comment la peine du coupable est réversible jusque sur l’innocent, et le mérite de celui-ci réversible à son tour sur la tête de l’autre, quelle mystérieuse vertu fut de tout temps attachée au sacrifice et à l’effusion du sang humain sur la terre, quelle effrayante dépense il s’en est fait depuis l’origine jusqu’aux derniers temps, à ce point que « le genre humain peut être considéré comme un arbre qu’une main invisible taille sans relâche, et qui va toujours en gagnant sous la faux divine ; » — telles sont les hautes questions, tels les dogmes redoutables que remue en passant l’esprit religieux de l’auteur, et à la façon dont il les soulève, nul, après l’avoir lu, même parmi les incrédules, ne sera tenté de railler. M. de Maistre, en ses Considérations et ailleurs, est, de tous les écrivains religieux, celui peut-être qui nous oblige à nous représenter de la manière la plus concevable, la plus présente et la plus terrible, le jugement dernier ; il donne à penser là-dessus, même aux sceptiques blasés de nos jours, parce qu’il fait concevoir l’inévitable fin et le coup de filet du réseau universel, d’une manière ordonnée, toute spirituelle, tout appropriée aux intelligences sévères. Il nous met presque dans l’alternative ou de ne croire à aucune loi régulatrice, ou de croire avec lui.

En s’emportant dans ce vigoureux écrit à des assertions extrêmes, intempérantes, en ne voulant voir que le caractère purement satanique de la révolution, il garde pourtant, s’il est permis d’employer à son égard un tel mot sans offense, une certaine mesure ; ses conjectures du moins observent encore, par rapport à ce qu’elles deviendront plus tard, une sorte de modestie que j’aime à relever : « … Il n’y a point, dit-il en un beau passage[1], il n’y a point de châtiment qui ne purifie, il n’y a point de désordre que l’Amour éternel ne tourne contre le principe du mal. Il est doux, au milieu du renversement général, de pressentir les plans de la Divinité[2]. Jamais nous ne verrons tout pendant notre voyage, et souvent nous nous tromperons ; mais dans toutes les sciences possibles, excepté les sciences exactes, ne sommes-nous pas réduits à conjecturer ? Et si nos conjectures sont plausibles, si elles ont pour elles l’ana-

  1. Chap. III.
  2. C’est son Suave mari magno…, mais non point ici sans une véritable onction de christianisme.