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JOSEPH DE MAISTRE.

de Saint-Martin au moment même où elle fut publiée, on n’en saurait guère douter, parce qu’elle dut parvenir très vite à Lausanne, où se trouvait alors un petit noyau organisé de mystiques, dont le plus connu, Dutoit-Membrini, venait de mourir précisément en ces années. Or, si l’on suppose M. de Maistre recevant, ainsi qu’il est très probable, la communication de cette brochure dans le temps où il écrivait son pamphlet de Claude Têtu, mûr comme il était sur la question et tout échauffé par le prélude, il lui suffit d’un éclair pour renflammer ; il dut se dire à l’instant, dans sa conception rapide, que c’était le cas de refaire la brochure de Saint-Martin, non plus avec cette mollesse et cette fadeur à demi inintelligible, non dans un esprit particulier de mysticisme et dans une phraséologie béate qui tenait du jargon, mais avec franchise, netteté, autorité, en s’adressant aux hommes du temps dans un langage qui portât coup et avec des aiguillons sanglans qui ne leur donneraient pas envie de rire. Les dates, les circonstances locales, l’analogie du point de vue général et même d’un certain ordre d’idées aux premières pages, tout concourt à prêter à cette conjecture une vraisemblance que rien d’ailleurs ne dément[1].

Les Considérations sur la France peuvent elles-mêmes être considérées sous plus d’un aspect. Celui qui domine, cette idée de gouvernement providentiel dont nous parlons, qui s’y dessine en deux ou trois grands chapitres, et que l’auteur reprendra plus tard avec prédilection et raffinement, ne se produit ici que justifié par la gran-

    dement, pressés par la seule terreur, et sans qu’il y eût d’autre force qu’une main invisible qui les poursuivit ? N’avons-nous pas vu, dis-je, les opprimés reprendre, comme par un pouvoir surnaturel, tous les droits que l’injustice avait usurpés sur eux ?

    « Quand on la contemple, cette révolution, dans son ensemble et dans la rapidité de son mouvement, et surtout quand on la rapproche de notre caractère national, qui est si éloigné de concevoir, et peut-être de pouvoir suivre de pareils plans, on est tenté de la comparer à une sorte de féerie et à une opération magique ; qui a fait dire à quelqu’un qu’il n’y aurait que la même main cachée qui a dirigé la révolution qui pût en écrire l’histoire.

    « Quand on la contemple dans ses détails, on voit que, quoiqu’elle frappe à la fois sur tous les ordres de la France, il est bien clair qu’elle frappe encore plus fortement sur le clergé… » Et il poursuit en s’attachant à exposer le mode de vengeance providentiel sur le clergé dans le sens qu’il entend. M. de Maistre, lui, l’entendait un peu différemment ; mais peu importent ces variétés : la donnée providentielle est la même.

  1. Voir ce qui est dit de Saint-Martin en divers endroits des Soirées de Saint-Pétersbourg, particulièrement dans le onzième entretien.