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REVUE. — CHRONIQUE.

de toute besogne. Ces revenus de l’église protestante en Irlande augmentent chaque année, et, d’un autre côté, le nombre des protestans eux-mêmes décroît régulièrement. Il y a deux cents ans, ils étaient aux catholiques dans la proportion de 1 à 3 ; aujourd’hui ils sont dans la proportion de 1 à 10.

L’église d’Irlande ne peut donc être considérée que comme une branche de l’église d’Angleterre, comme un établissement purement anglais, représentant chez le peuple conquis la suprématie du peuple conquérant, et elle n’y est maintenue que parce qu’on regarde sa chute comme devant mettre en danger la suprématie de l’église protestante dans l’Angleterre elle-même. Mais n’y a-t-il pas autant de péril pour l’église d’Angleterre dans le honteux scandale dont l’église d’Irlande offre le spectacle ? Toute la haine dont l’une est l’objet retombe sur l’autre ; l’église d’Irlande est condamnée à périr avant peu d’années, cela est évident comme la clarté du jour, et il arrivera que, pour n’avoir pas voulu s’en séparer à temps, l’église d’Angleterre sera entraînée dans sa chute, et que l’arbre tout entier tombera parce qu’on n’aura pas voulu en sacrifier une branche parasite et vermoulue.

C’est là une vérité que comprennent les amis les plus sages et les plus éclairés de l’église protestante en Angleterre, et c’est pour cette raison qu’ils ont essayé à plusieurs reprises d’introduire de larges réformes dans l’église d’Irlande. Certainement, si le parlement anglais avait adopté le plan proposé, il y a quelques années, par lord John Russell, et qui avait pour objet de réduire l’établissement anglican en Irlande à de plus justes proportions, et d’appliquer le surplus des revenus ecclésiastiques à l’éducation générale du peuple, cette mesure de justice et de conciliation aurait efficacement contribué à maintenir la paix en Irlande. Ce que le gouvernement whig n’a pas pu faire, le gouvernement tory est assez fort aujourd’hui pour l’accomplir. Malgré les déclarations contraires des ministres, cette solution des difficultés actuelles semble être la seule possible.

La grande objection qui est faite au système de l’appropriation, c’est que les biens de l’église sont une propriété de même nature que la propriété particulière, et que l’état n’a pas le droit de les détourner de l’usage auquel ils ont été consacrés dans l’origine. La question des biens de main-morte est depuis long-temps résolue en France, mais elle ne l’est pas encore en Angleterre, tant s’en faut. Et cependant la doctrine de l’inviolabilité des biens de main-morte n’est-elle pas une anomalie, surtout dans les pays protestans ? N’est-ce pas un principe protestant, s’il en fut, que l’église est la créature de la loi, et que la loi, qui l’a faite, peut la défaire ? Or, aux yeux de la loi, le prêtre est un fonctionnaire public, comme le magistrat, comme le soldat. C’est la loi qui a imposé la dîme, et la loi peut la réduire ou la supprimer au besoin. Quant aux biens qui proviennent de dons volontaires, le principe aujourd’hui admis est que la volonté du donateur doit être observée tant qu’elle le peut être conformément à l’intérêt public, mais que, lorsque les circonstances changent, la destination du don doit changer aussi, puisqu’il