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je considère ici l’Irlande comme un pays indépendant, et non comme une partie d’un tout, comme une annexe du royaume-uni de la Grande-Bretagne. Mais à ce compte, l’Écosse n’est-elle pas également une partie de ce tout, et cependant l’Écosse n’a-t-elle pas une religion d’état qui est celle de la majorité, n’a-t-elle pas une église indépendante et séparée de l’église d’Angleterre ? Si l’Angleterre pose en principe que l’état ne doit reconnaître qu’une seule religion, pourquoi ce principe n’est-il pas appliqué à l’Écosse comme à l’Irlande ? Pourquoi le culte presbytérien est-il privilégié, quand le culte catholique est exclus ? L’Angleterre a une église nationale, l’Écosse a une église nationale, l’Irlande seule a une église étrangère. Les églises d’Angleterre et d’Écosse ont pour elles le nombre, le fait, qui finissent par devenir le droit ; l’église d’Irlande n’a ni le droit ni le fait : elle n’a que la force, et la force n’a jamais suffi pour lui faire prendre racine dans le pays qu’elle opprime.

Quand le sanguinaire et despotique Henri VIII se fit en Angleterre le chef de la réformation, il créa promptement des prosélytes à l’aide de la confiscation et de la distribution des biens ecclésiastiques. La persécution et le règne éclatant et populaire d’Élisabeth continuèrent cette œuvre de transformation ; mais ce qui contribua par-dessus tout à protestantiser l’Angleterre, ce fut le caractère essentiellement national qu’assuma, presque dès son origine, le nouveau culte. L’idée du catholicisme romain s’associa, dans l’esprit de la nation, à l’idée de la domination étrangère ; les nobles s’étaient faits protestans pour avoir part aux dépouilles de l’église, le peuple se convertit à son tour par patriotisme. Cela explique comment le pouvoir temporel fut immédiatement investi du pouvoir spirituel, et l’a gardé intact jusqu’à nos jours, et comment la religion anglicane, œuvre du roi et des nobles, devint, par suite de circonstances purement politiques, la religion du peuple et de la majorité.

En Écosse, au contraire, la réformation partit du peuple pour remonter aux grands ; mais le mouvement, quoique inverse de celui de l’Angleterre, fut également national. Les tentatives réitérées des souverains anglais pour introduire la hiérarchie épiscopale dans l’église républicaine de l’Écosse ne firent qu’attacher plus profondément le peuple à son culte national ; l’Angleterre fut obligée de capituler et de reconnaître en Écosse une église indépendante. Il y eut donc en Écosse, comme en Angleterre, une religion dominante, et cette religion fut également celle de la majorité.

Ce fait de la suprématie légale de l’église presbytérienne en Écosse est très important en ce qu’il prouve que le maintien de l’église protestante en Irlande est, pour l’Angleterre, une question politique et non une question religieuse, une affaire d’opportunité, et non une affaire de principe. L’Écosse a été traitée comme un pays uni, l’Irlande comme un pays conquis, et c’est ce qui a fait que la religion nationale de l’Irlande n’a jamais eu une existence légale.

Le protestantisme est entré en Irlande avec la conquête, et y est resté avec les conquérans ; il devait y rencontrer, dès l’origine, une résistance non-seu-