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REVUE. — CHRONIQUE.

sique d’église, et sur la naissance du drame musical. Certes cette époque est bien digne d’attention, car elle fut l’aurore d’une révolution immense dans l’art de composer la musique d’église, révolution complétée par le divin Palestrina.

L’ouvrage de M. de Coussemaker n’est pas seulement recommandable aux yeux de ceux qui s’occupent de la science musicale et de son histoire ; il renferme une foule de particularités intéressantes pour les gens du monde. Ainsi, parmi les directeurs du pupitre de la cathédrale de Cambrai, l’auteur cite Laurent Devos, frère du fameux peintre, né à Anvers en 1533, et reproduit sur les derniers momens de ce digne et infortuné maître de chapelle un passage inédit du chroniqueur Jean Doudelet, aussi curieux que touchant. Devos devait sa place à l’archevêque de Berlaymont, qui l’honorait de son amitié, et auquel il avait voué la plus tendre reconnaissance. Le baron d’Inchy, gouverneur de Cambrai, ayant usurpé par des moyens odieux le pouvoir de ce prélat, qu’il chassa de la ville, et traité les bourgeois de la manière la plus tyrannique, Devos composa un motet à grands chœurs tiré de différens psaumes, et peignant les malheurs et les troubles de la cité cambraisienne. Il eut le courage de faire exécuter ce morceau après les vêpres, un jour de fête solennelle, en présence du gouverneur, qui ordonna qu’on le saisît aussitôt et qu’on le conduisît en prison. « Finalement, dit le chroniqueur, maître Laurent Devos fut pendu et étranglé sur le marché dudit Cambrai, comme autre séculier, n’ayant nul égard à son état de prêtrise, et cependant qu’il faisait ses préparations à la mort et qu’il parlait au peuple, remontrant que c’était à tort que l’on le faisait mourir, plusieurs tambours sonnaient autour de lui, afin qu’il ne fût ouï du peuple faisant ses justifications. Ses enfans de chœur y étaient présens, faisant de grands regrets sur la mort de leur maître et lui donnant l’adieu. Ainsi finit ses jours ce bon maître de chant. »

Après avoir analysé toutes les richesses que contient le dépôt de Cambrai, M. de Coussemaker s’occupe des ouvrages appartenant aux bibliothèques de Dunkerque, Lille, Douai et Valenciennes. Il prouve par des documens authentiques que, dès 1575, la musique religieuse était cultivée, dans cette dernière ville, avec solennité. Enfin, il termine sa notice en citant le texte de vingt-six chansons des XIIIe et XIVe siècles. Les quatre premières ont été mises en musique à trois parties par Adam de La Hale, surnommé le bossu d’Arras, auteur du Jeu de Robin et Marion, espèce d’intermède dramatique annonçant déjà la naissance de l’opéra-comique. Ces chansons ont toute la naïveté de l’époque, et ne manquent ni de grace ni d’harmonie. L’ouvrage de M. de Coussemaker, qui n’a été tiré qu’à cent dix exemplaires, forme un beau volume orné de planches de musique et d’un dessin colorié, aussi curieux qu’original, qui sert de frontispice au manuscrit 124 de la bibliothèque de Cambrai.