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JOSEPH DE MAISTRE.

soit en pays neutre. Et ici l’auteur, invoquant les actes mêmes de la Convention après le 9 thermidor, démontre que ces émigrés par force majeure ne sont pas des émigrés.

Redevenue libre, la Convention, dans sa séance du 9 mars 1795, disait anathème au coup d’état du 31 mai qui avait proscrit les prétendus fédéralistes. — Une nouvelle loi (celle du 22 prairial) vint au secours des malheureux qui n’avaient fui la terre de liberté que pour échapper à la hache de Robespierre : elle rappelait ceux qui s’étaient soustraits depuis le 31 mai 93.

L’auteur discute avec fermeté et éloquence pour réclamer le bénéfice de cette loi en faveur des prétendus émigrés savoisiens. Il s’adresse, en terminant, aux Conseils, il apostrophe le Directoire exécutif et le rappelle à la clémence et à la justice au début d’un régime nouveau. M. de Maistre est ici le Lally-Tolendal de sa contrée, comme dans son pamphlet de Claude Têtu il s’en était montré par avance le Paul-Louis Courier.

Ces préliminaires une fois accomplis, cette dette payée, et comme tout échauffé encore de sa guerre de montagnes, il sort enfin de la politique locale et s’élève au rôle de publiciste européen par ses Considérations sur la France. L’aspect change : ce n’est plus à un Vendéen de Savoie qu’on va avoir affaire, c’est à un contemplateur plutôt stoïque et presque désintéressé. On a souvent admiré comment M. de Maistre, un étranger, avait si bien, je veux dire si fermement jugé du premier coup, et de si haut, la révolution française ; c’est, on vient de le faire assez comprendre, qu’il n’y était pas étranger, c’est qu’il l’avait subie et soufferte dans le détail ; il ne l’a si bien jugée en grand, que parce qu’il en avait pâti de très près, et en même temps de côté. La double position (outre le génie) était nécessaire. À un certain moment, il a pu se détacher de la question locale et planer du dehors sur l’ensemble. Nous allons l’y suivre et le considérer dans cette phase nouvelle, définitive. Jusqu’ici il nous a suffi de le faire connaître graduellement et de le produire, non absolu encore, par des extraits, par des analyses, en nous effaçant. Malgré notre désir et notre insuffisance, il nous sera difficile de continuer à faire de même, et de contenir tout jugement contradictoire en face de l’intolérance fréquente des siens.


Sainte-Beuve.

(La seconde partie au prochain numéro.)