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JOSEPH DE MAISTRE.

sion le diamètre de la France, et les terres voisines commencèrent à trembler. Ô ma patrie ! ô peuple infortuné !… » Et ailleurs : « Aussi vile que féroce (la révolution), jamais elle ne sut ennoblir un crime ni se faire servir par un grand homme ; c’est dans les pourritures du patriciat, c’est surtout parmi les suppôts détestables ou les écoliers ridicules du philosophisme, c’est dans l’antre de la chicane et de l’agiotage qu’elle avait choisi ses adeptes et ses apôtres. » Ce style-là, loin d’être du bon de Maistre, n’est que du mauvais Lamennais. Voici qui est mieux :

« Mais c’est précisément parce que la révolution française, dans ses bases, est le comble de l’absurdité et de la corruption morale, qu’elle est éminemment dangereuse pour les peuples. La santé n’est pas contagieuse ; c’est la maladie qui l’est trop souvent. Cette révolution bien définie n’est qu’une expansion de l’orgueil immoral débarrassé de tous ses liens ; de là cet épouvantable prosélytisme qui agite l’Europe entière. L’orgueil est immense de sa nature : il détruit tout ce qui n’est pas assez fort pour le comprimer ; de là encore les succès de ce prosélytisme. Quelle digue opposer à une doctrine qui s’adressa d’abord aux passions les plus chères du cœur humain, et qui, avant les dures leçons de l’expérience, n’avait contre elle que les sages ? La souveraineté du peuple, la liberté, l’égalité, le renversement de toute subordination, le droit à toute sorte d’autorité : quelles douces illusions ! La foule comprend ces dogmes, donc ils sont faux ; elle les aime, donc ils sont mauvais. N’importe ? elle les comprend, elle les aime. Souverains, tremblez sur vos trônes. »

Le contrecoup retentit en Savoie ; là, ce n’aurait été qu’une querelle de famille ; mais Paris convoite les pauvres montagnes : un petit nombre de scélérats (je copie) répond au cri d’appel. Le roi, se croyant menacé, arme. Le 22 septembre 1792, la Savoie est envahie par l’armée française, et le Piémont près de l’être. Après la défense du Saint-Bernard (1793), Eugène, grièvement malade, court des dangers : il semblait « que la Providence voulût tenir ses parens continuellement en alarmes sur lui et, pour ainsi dire, les accoutumer à le perdre. » Il passe les quartiers d’hiver de 93-94 à Asti. Mais le génie de Bonaparte prélude déjà à ses prochaines destinées d’Italie, et dicte les opérations de la campagne qui va s’ouvrir[1]. Dès le 6 avril 94 éclate l’attaque générale des Français sur toute la chaîne du comté de Nice. Le 27, Eugène, se trouvant avec sa compagnie au sommet de la Saccarella, qui domine le Col-Ardent, marche à

  1. Mémoires de Napoléon, t. I, page 61.