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JOSEPH DE MAISTRE.

Je n’ai eu sous les yeux que la quatrième Lettre d’un Royaliste savoisien à ses Compatriotes, datée du 3 juillet 1793 ; je ne parlerai donc que de celle-ci, qui avait été précédée nécessairement de trois autres, et qui semblait même réclamer une suite. La révolution est consommée en Savoie depuis l’invasion de septembre 1792 ; l’auteur dit aux siens : Voyez et comparez. L’objet de cette quatrième lettre est énoncé en tête : Idée des lois et du gouvernement de sa majesté le roi de Sardaigne avec quelques réflexions sur la Savoie en particulier.

« Heureux, lit-on au début, heureux les peuples dont on ne parle pas ! Le bonheur politique, comme le bonheur domestique, n’est pas dans le bruit ; il est le fils de la paix, de la tranquillité, des mœurs, du respect pour les anciennes maximes du gouvernement, et de ces coutumes vénérables qui tournent les lois en habitudes et l’obéissance en instinct. » Et l’auteur montre que tel a été le caractère constant et le régime de la maison de Savoie, en qui il loue surtout le talent de gouverner sans jamais se brouiller avec l’opinion. Il commence par citer quelques-unes des déclamations proférées et publiées à l’occasion de l’assemblée générale des Allobroges, « la raison éternelle et la souveraineté du peuple ayant exercé dans cette assemblée nationale des Allobroges l’empire suprême que les armes françaises leur avaient reconquis. » Il ne manque pas les invectives burlesques contre ces institutions qui sacrifiaient le sang et les sueurs du peuple à l’entretien des palais et des châteaux (les palais de Savoie !). À ces banales insultes l’auteur oppose le tableau de ce qu’était ce gouvernement modéré et paternel : il montre en Savoie le clergé et la noblesse ne formant pas de corps séparé dans l’état ; les libertés de l’église gallicane observées, par opposition à ce qui avait lieu en Piémont ; le haut clergé sans faste, exemplaire de mœurs ; le bas clergé (expression qui était inconnue) jouissant de toute considération, et la noblesse elle-même paraissant assez souvent dans cette classe des simples curés. Quant à cette noblesse proprement dite, elle avait des priviléges sans doute, mais des priviléges très limités ; la qualité de noble était avant tout un titre honorifique qui obligeait plus étroitement envers l’état. Chaque jour les grands emplois faisaient entrer dans la noblesse des hommes qui obtenaient ainsi une illustration marquée, sans devenir pourtant tout d’un coup les égaux des gentilshommes de race : « La noblesse est une semence précieuse que le souverain peut créer, mais son pouvoir ne s’étend pas plus loin ; c’est au temps et à l’opinion qu’il appartient de la féconder. » Suivent des détails de l’ancienne organisation locale. — Le roi de Sardaigne