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une réminiscence peu lointaine du Vicaire savoyard. Après le prêtre, l’orateur fait intervenir le guerrier, puis le magistrat, dont les devoirs sont le thème auquel particulièrement il s’attache. Mais jusqu’à présent le de Maistre que nous cherchons et que nous admirons n’est point encore trouvé.

Les années qui s’écoulèrent jusqu’au coup de tocsin de la révolution française le laissèrent tel sans doute, étudiant et méditant beaucoup, mûrissant lentement, mais ne se révélant pas tout entier aux autres ni probablement à lui-même. Rien ne faisait pressentir l’illustration littéraire et philosophique, à la fois tardive et soudaine, dont il allait se couronner. C’était un magistrat fort distingué, non pas précisément (quoi qu’en ait dit quelqu’un de bien spirituel) un mélange de courtisan et de militaire : il n’avait de militaire que son sang de gentilhomme, et du courtisan il n’avait rien du tout. Dans cette espèce même de mercuriale dont nous parlions tout à l’heure, nous pourrions citer, sur l’indépendance et le stoïcisme imposés au magistrat, des paroles significatives qui dénoteraient toute autre chose que le partisan du bon plaisir royal[1]. L’est-il jamais devenu depuis lors dans le sens positif qu’on lui impute ? il y aurait lieu, en avançant, de le contester. Ce qui n’est pas douteux, c’est que M. de Maistre passait, non-seulement dans sa jeunesse, mais beaucoup plus tard, tout près de la révolution, pour adopter les idées nouvelles, les opinions libérales. Dans quel sens, et jusqu’à quel point ? c’est ce qu’il a été impossible d’éclaircir, et l’on n’a pu recueillir à ce sujet que la particularité que voici :

Trop de latitude accordée au pouvoir militaire en matière civile ayant amené quelques abus dans une petite ville de Savoie, M. de Maistre témoigna assez hautement sa désapprobation pour s’attirer,

  1. «… Qu’on ne dise pas, messieurs, qu’il est maintenant inutile de nous élever à ce degré de hauteur que nous admirons chez les grands hommes des temps passés, puisque nous ne serons jamais dans le cas de faire usage de cette force prodigieuse. Il est vrai que, sous le règne de rois sages et éclairés, les circonstances n’exigent pas de grands sacrifices, parce qu’on ne voit pas de grandes injustices ; mais il en est que les meilleurs souverains ne sauraient prévenir ; et, si quelqu’un ose assurer qu’en remplissant ses devoirs avec une inflexibilité philosophique, on ne court jamais aucun danger, à coup sûr cet homme-là n’a jamais ouvert les yeux. D’ailleurs, messieurs, la vertu est une force constante, un état habituel de l’ame, tout-à-fait indépendant des circonstances. Le sage, au sein du calme, fait toutes les dispositions qu’exige la tempête, et, quand Titus est sur le trône, il est prêt à tout, comme si le sceptre de Néron pesait sur sa tête… »