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les coteaux délicieux de Chautagne. Cruelle Isère, tu rendras ta proie ?… » On noterait, si l’on voulait, quelques contrastes fortuits et piquans avec ce qu’il écrira plus tard : « J’avoue cependant qu’il y a dans tous les pays des hommes dont on ne saurait acheter les services trop cher : ce sont les histrions, les saltimbanques, les délateurs, les eunuques, les archers, les bourreaux, les traitans… Car, ces gens-là n’ayant rien de commun avec l’honneur, on n’a que de l’argent à leur donner. » Le bourreau placé entre les traitans et les histrions ! il le mettra plus à part une autre fois. — Il loue encore le prince d’être l’évêque extérieur, comme on disait de Constantin, de se montrer également éloigné du relâchement et de la sévérité ; et parlant des pays où l’accusation d’irréligion se renouvelle sans cesse parce qu’elle est toujours sûre d’être écoutée : « Que dis-je ? n’a-t-on pas poussé l’extravagance et la cruauté jusqu’à allumer des bûchers, jusqu’à faire couler le sang au nom du Dieu très bon ? Sacrifices mille fois plus horribles que ceux que nos ancêtres offraient à l’affreux Teutatès, car cette idole insensible n’avait jamais dit aux hommes : Vous ne tuerez point, vous êtes tous frères, je vous haïrai si vous ne vous aimez pas. » Le vœu de tolérance cher au XVIIIe siècle trouve là son écho.

En même temps l’auteur, qui n’a pas encore toute sa cohérence, s’élève contre les incrédules « qui réclament à grands cris la liberté de penser… Qu’est-ce qui les empêche de penser ? Ce sont les discours, ce sont les écrits que Victor défend avec raison. »

Tout à côté, Lafayette lui-même n’aurait pas désavoué la ferveur de cet élan sur la guerre d’Amérique : « La liberté, insultée en Europe, a pris son vol vers un autre hémisphère ; elle plane sur les glaces du Canada, elle arme le paisible Pensilvanien, et du milieu de Philadelphie elle crie aux Anglais : Pourquoi m’avez-vous outragée, vous qui vous vantez de n’être grands que par moi ? » — Le tout finit et se couronne par un pompeux éloge de la France : « Charles, Clotilde, augustes époux, vous allez retracer à nos yeux des vertus de Ferdinande et de Victor !… Confondons les intérêts des deux états, et que les Français s’accoutument à se croire nos concitoyens. Toujours ce peuple aimable aura de nouveaux droits sur nos cœurs ; chez lui, les graces s’allient à la grandeur ; la raison n’est jamais triste ; la valeur n’est jamais féroce, et les roses d’Anacréon se mêlent aux panaches guerriers des Du Guesclin… » M. de Maistre pensera toujours, plus qu’il n’en voudrait convenir, à la