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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Autrefois, dans les siècles de la force brutale, on voyait de petits peuples vivre sous l’égide de leur gloire et de leur courage, respectés par les grandes nations. Aujourd’hui, dans le siècle du droit commun, un peuple ne peut plus vivre que quand il a prouvé qu’il saurait résister seul à tous les autres. Pour qu’il se relève de son oppression, il faut qu’il puisse s’affranchir en quelque sorte malgré l’Europe, qu’il puisse agir en dépit de tous les cabinets du monde civilisé. Heureusement il n’existe de nos jours aucune nationalité mieux en état que celle des Bulgaro-Serbes de braver l’anathème des cabinets. Défendus par leurs rochers, leurs forêts, leurs mœurs austères, ils seraient inexcusables d’invoquer des protecteurs étrangers, de s’inquiéter des menaces et des ultimatums austro-russes. Qu’ils ne défient personne, mais qu’ils restent fermes dans la défense des droits que leur ont assurés des traités solennels.

Ces Bulgaro-Serbes, disent les hommes d’état, sont des enfans que le cabinet de Pétersbourg mène à son gré, des barbares qui conspirent contre les traités auxquels ils doivent leurs premiers droits, et qui mettent en danger la paix du monde en sapant le trône du Bosphore. Les journaux même de l’opposition, secondant à leur insu le plan des diplomates, ne cessent pas de dénigrer ces peuples en les accusant, malgré tant de preuves du contraire, d’être les complices des Moscovites. À en croire ces feuilles obstinées dans leurs erremens, les Serbes ne peuvent marcher que dans les voies de la Russie, et les deux insurrections bulgares de 1838 et de 1840 n’auraient été que le fruit d’intrigues ourdies sur la Néva. Heureusement les Bulgaro-Serbes n’attendent leur salut ni des journalistes ni du tsar. Ils ont leur tsar à eux, qui est le sultan, et, comme ils sont prêts à combattre des pachas concussionnaires, ils sont prêts aussi à défendre en toute circonstance la cause de la Porte. Les Bulgaro-Serbes comprennent aujourd’hui tous les avantages d’une intime union avec l’Osmanli, et leur haine, naguère si violente contre le Turc, s’est éteinte faute d’aliment. Les chefs serbes du Danube, depuis l’expulsion des Obrenovitj, se sont tous ralliés spontanément aux Turcs contre la Russie ; par malheur c’est la Porte qui manque de résolution en ce moment ; après avoir encouragé ses tributaires slaves, elle montre moins d’énergie qu’ils n’en déploient eux-mêmes pour résister aux exigences moscovites. En voyant l’émancipation de la Serbie arriver si rapidement à de tels résultats, quel Ottoman ami de son pays serait assez aveugle cependant pour refuser son approbation à toute mesure qui étendrait la sphère d’action des Serbes