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du Balkan ont un moyen sûr de forcer la Porte à leur prêter l’oreille : c’est de se montrer les plus fidèles sujets du sultan, de lui présenter un système d’administration indigène plus avantageux au trésor impérial que celui qui repose sur l’esprit de concussion et de rapine des vieux Osmanlis ; c’est enfin de conduire l’agitation légale avec une telle prudence, qu’en aucun cas ni le sultan ni l’Europe n’aient intérêt à prendre parti contre les agitateurs pour des pachas décriés.

V.

Les Turcs évidemment ne doivent plus songer aujourd’hui à étouffer la nationalité bulgaro-serbe, qu’ils n’ont pu détruire au temps de leur plus grande puissance. Il ne leur reste désormais qu’à rivaliser de patriotisme et d’activité avec les raïas, s’ils ne veulent être absorbés un jour par la société chrétienne. Une guerre avec les Slaves ne durerait, pour les Turcs, que le temps de mourir, et c’est pour leur ôter jusqu’au désir de se défendre ainsi que les Bulgares désarmés et raïas, tout en restant fidèles à la Porte, doivent se lier intimement d’intérêts avec les Serbes armés et libres. Cette union existe déjà moralement, quoique ni les uns ni les autres ne l’aient assignée comme but à leurs efforts. Fréquemment la Bulgarie envoie des députations à Belgrad pour exposer au sénat de Serbie le tableau de ses souffrances et des persécutions turques. Des milliers de réfugiés bulgares habitent la principauté serbe, où ils jouissent de tous les droits civiques. À la vérité, les rapports entre les deux peuples n’ont été jusqu’ici que des liens de sympathie, motivés par l’analogie de leur langue, de leur origine, et par leur dépendance du même souverain ; mais le temps est venu où des relations plus sérieuses vont nécessairement se former, que le sultan le veuille ou non, entre tous les Slaves de son empire. C’est aux Turcs d’empêcher que ces relations ne deviennent fatales au trône de Stambol ; elles seraient surtout menaçantes, si, interdisant en quelque sorte aux Bulgares la conscience d’eux-mêmes, les Turcs prétendaient ne leur laisser que le choix des tyrans. En s’abandonnant alors avec une servile apathie à la direction des chefs serbes, les raïas provoqueraient chez ces pâtres guerriers et ambitieux le désir de les subjuguer, de les employer pour labourer leurs champs, et d’en faire des instrumens de leur grandeur.

Les Turcs n’ont qu’un moyen de paralyser ce que l’influence