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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

sophisme, signifie nécessairement que, tout en restant Slaves et Grecs, les raïas deviennent les égaux des Turcs, et obtiennent comme tels les mêmes droits que les Ottomans.

De singuliers rapports existent entre l’état des Bulgares et celui d’un peuple qui excite en ce moment les sympathies du monde entier, le peuple irlandais. C’est en Bulgarie comme en Irlande le même genre d’oppression civile et ecclésiastique. Comme les Irlandais, les Bulgares sont sujets d’un souverain qui affecte de les protéger contre ses ministres, et contre une aristocratie insolente et cupide qui, professant une religion étrangère, va consommer loin du pays le fruit de ses dîmes et du labeur des habitans. Comme les Irlandais, les Bulgares peuvent appuyer leur opposition légale sur le texte d’une charte à laquelle leurs maîtres sont également soumis ; ils peuvent demander au sultan justice contre ses ministres, et vengeance contre ses pachas par des pétitions de plus en plus nombreuses, et au besoin par la résistance aux iniques fermiers du fisc. Dans ces luttes, le sultan, comme le souverain d’Angleterre, tâchera toujours de soutenir l’opprimé. Mais, s’il arrivait que le souverain, trop circonvenu par les siens, ne pût suivre sa politique personnelle, et que les opprimés fussent forcés d’en venir à une juste et sainte insurrection, la Bulgarie a des ressources qui manquent à l’Irlande ; elle a ses mœurs primitives, sa nature vierge, l’admirable position du Balkan, ses cimes à la fois inaccessibles et fertiles, où des insurgés même bloqués pourraient s’alimenter des produits du sol et se défendre durant des siècles.

Pour les nations opprimées qui veulent s’affranchir, il n’y a que deux rôles, celui de l’Irlande ou celui de la Circassie. Les Bulgaro-Serbes peuvent heureusement prendre à la fois ces deux rôles ; ils peuvent, en Bulgarie, faire de l’agitation légale à la manière des Irlandais, et se battre comme les Tcherkesses dans les montagnes slaves de Bosnie, d’Albanie et du Monténégro. Passe, dira-t-on, pour le dernier moyen, c’est celui qu’ont adopté les haïdouks serbes, et ils ont déjà réussi à former deux états indépendans qui, secondés par des dynasties populaires, trouvent dans les clans libres d’Albanie des alliés audacieux toujours prêts à les soutenir contre leurs agresseurs ; mais les pauvres et pacifiques Bulgares, qui n’ont pas encore d’organisation nationale, pourront-ils s’organiser jamais ? L’orgueil turc n’y mettra-t-il pas sans cesse de nouveaux obstacles ? Toutes leurs manifestations populaires ne seront-elles pas méprisées par les pachas ? Quand même elles le seraient, les knèzes et les staréchines