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point que sur un autre. Une association de marchands ayant sa banque ou caisse d’épargne placée à l’étranger, à l’abri de la rapacité turque, et son principal comptoir aux bouches de la Maritsa et du Strouma, étendrait bientôt ses relations dans l’intérieur des provinces ; elle réussirait ainsi à diriger vers la mer Égée une partie du commerce et des produits des Balkans. Dès que cette société, en échange des matières brutes livrées par elle, serait en état de demander comme paiement à ses correspondans européens des produits manufacturés, elle attirerait nécessairement un grand nombre d’armateurs. La seule facilité des échanges mutuels pousse nos navires à aller jusqu’en Russie acheter ces matières premières que le Bulgare offre à un prix beaucoup plus bas, mais pour de l’argent comptant.

Une autre conséquence de l’émancipation sera la réforme de l’épiscopat. Les évêques actuels sont tous Grecs de naissance et non Bulgares. Ces prélats traitent leurs ouailles en peuple conquis, levant sur elles des impôts sacrés non moins lourds que ceux de l’infidèle, et qui ne sont pas exigés avec moins de cruauté. Pour rendre intolérable enfin la position de ces évêques qui ont acheté leur charge des Turcs, le raïa ne doit point se lasser de protester contre une honteuse simonie. Il peut adresser au sultan et au patriarche des pétitions couvertes de milliers de signatures, qui demandent des évêques indigènes et pour chaque ville un chapitre épiscopal bulgare. La vente à l’enchère des évêchés à Constantinople est une ignominie que les Slaves ne doivent plus souffrir.

On voit combien l’avenir de la patrie se rattache étroitement pour les Bulgares à la question des libertés municipales. Sans doute on objectera que ces libertés, loin d’être contenues dans le hatti-chérif de Gulhané, sont contraires à cette charte, expression de la nationalité ottomane, qui ne peut se tourner contre elle-même. Mais la souveraineté de la Bulgarie appartient à la seule maison d’Othman, et non au peuple turc pris collectivement ; ce peuple doit tout au plus se regarder comme souverain dans les régions qu’il habite et cultive, et non au-delà. Il ne s’agit donc pas de demander aux Turcs l’abdication d’un droit dont ils n’ont jamais joui. Les peuples qui, dans leurs cruelles dissensions, ont dû jadis se soumettre au sultan, entendaient bien n’avoir que lui seul pour souverain. Ainsi, qu’on se place même au point de vue des sultans, qu’on admette comme légitime leur conquête : la déclaration par laquelle les raïas et les Turcs sont égaux devant Abdoul-Medjid, sous peine d’être un