Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/305

Cette page a été validée par deux contributeurs.
299
LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

lées des Albanais en 1830, 1832 et 1836, ont dû leur prouver que, seuls, ils seront désormais toujours vaincus par le nizam. Il n’en sera plus ainsi dès qu’ils s’appuieront sur les Serbes du Tsernogore. Cette alliance est le seul moyen pour les Albanais musulmans de maintenir leur nationalité contre les Turcs, et pour les Albanais catholiques de secouer le joug théocratique que font peser sur eux les moines italiens missionnaires de l’Autriche.

Beaucoup plus nombreux que les Serbes et leurs alliés, les Bulgares attendent aussi de nouvelles destinées. Si leur renaissance politique n’a point fait d’aussi rapides progrès que celle de la Serbie, peut-être faut-il en accuser l’existence toute sédentaire et agricole des Bulgares. Ils doivent sans doute à ce genre de vie d’être, malgré leur rudesse, plus civilisés que les Serbes sous certains rapports ; mais aussi ces mœurs leur ont fait connaître des besoins que leurs voisins ignorent, et qui facilitent en Bulgarie l’exercice de la tyrannie turque. Pour tirer ces raïas de leur abaissement, il faut des moyens tout autres que pour animer le peuple serbe. On doit parler plus souvent au Bulgare de sa chaumière et de son village que de sa patrie : il ne fera de sacrifices que pour améliorer la valeur de ses terres, le sort de sa famille, l’importance de sa commune. De tous les peuples de la Turquie d’Europe, il est le seul par qui le hatti-chérif de Gulhané puisse être pris au sérieux ; lui seul est assez peu avancé dans son émancipation pour pouvoir se servir de cette charte comme d’une arme contre ses oppresseurs. Sans doute le hatti-chérif n’est qu’un leurre, le dernier recours de la tyrannie devenue faible, qui, ne pouvant plus opprimer violemment les peuples, espère continuer de les dominer à l’aide de la ruse et de la corruption. Conçu par les réformateurs occidentaux qui veulent franciser l’Orient, il tend à détruire les plus antiques nationalités pour les fondre toutes dans une seule, comme si une loi pouvait faire ce que n’a pu obtenir le cimeterre des Turcs, alors qu’il était la terreur du monde. Mais, se croyant obligée de revêtir au moins les dehors du libéralisme européen, la Porte ottomane a fait poser dans cette charte des principes qui mènent loin : celui de l’égalité des chrétiens et des Turcs dans l’empire est un glaive à deux tranchans qu’on peut faire servir aussi bien contre que pour les Osmanlis.

Ainsi, quelque trompeur qu’il soit, le hatti-chérif offre néanmoins aux opprimés une arme parlementaire, un moyen d’agitation légale. Les Bulgares doivent l’invoquer le plus souvent possible, se liguer pour sa défense, et protester sans cesse par des pétitions adressées à