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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

rope le pouvoir serbe comme le fruit d’une élection, et par conséquent comme révocable dès que ses agens seront en mesure d’en exiger la révocation ; enfin elle organise un état provisoire, qui lui permettra de continuer ses intrigues, à la place d’un état permanent, qui aurait pour résultat d’affermir la nationalité serbe. Et l’Europe a consenti à être la dupe de ces manœuvres, pendant qu’il lui était si facile d’obliger le tsar à exprimer nettement ses vraies prétentions ! Un simple refus par l’Angleterre et la France de ratifier l’ultimatum de la Russie, l’eût obligée infailliblement à en formuler un nouveau, où elle serait revenue à sa première demande. La cour russe eût réclamé, au nom de sa gloire, de la justice et du droit commun des princes, que la dynastie garantie par elle fût rétablie. Seulement alors la question eût repris sa véritable signification : l’Europe aurait eu à prononcer entre deux dynasties, l’une issue de Miloch, l’autre issue de George-le-Noir.

Tandis que l’Europe l’abandonnait ainsi, quelle a été l’attitude de la nation serbe ? Elle a constamment maintenu comme légitime la dynastie de George. Après avoir voulu rappeler le fils de Miloch et provoquer une élection nouvelle, la Russie a dû céder sur le premier point en se ménageant sur le second une victoire apparente. Une élection nouvelle a été faite, élection fictive et contre laquelle proteste la majorité du peuple serbe qui a refusé de remettre en question ce qu’il avait déjà décidé. Cette comédie parlementaire n’est destinée qu’à tromper l’Europe sur la légitimité du pouvoir rendu par la nation aux Georgevitj : les Serbes ne la prennent pas au sérieux.

Les ministres turcs ont habilement profité de cette longue crise pour se réhabiliter dans l’opinion des Slaves, en favorisant de tous leurs efforts, malgré les menaces du tsar, la lutte des patriotes serbes contre un pouvoir tyrannique que maintenaient les puissances chrétiennes. Seuls de tous les étrangers, ils ont soutenu en Serbie la cause juste et nationale, en garantissant au nom des traités d’Akerman, de Boukarest et d’Andrinople, l’autonomie des Serbes, c’est-à-dire leur indépendance politique intérieure, qui suppose nécessairement le droit de modifier leurs lois et de changer leurs chefs, s’ils en sentent le besoin. Le sultan s’est ainsi popularisé chez les raïas, et a dégoûté ses tributaires de l’intervention européenne ; on peut dire qu’en cette circonstance les diplomates barbares de la Porte ont été beaucoup plus clairvoyans que les hommes d’état du monde civilisé.

Entravée plutôt que soutenue par l’Europe, la Serbie ne peut plus agiter ni défendre les provinces opprimées qui l’entourent, comme