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binet russe par des formes légales et régulières d’élection ? Existe-t-il des formes légales et régulières pour l’élection du kniaze serbe, comme il en existe par exemple pour l’élection des princes moldaves et valaques, comme il en existait pour l’élection des rois de Hongrie et de Pologne ? Rien de semblable heureusement n’existe en Serbie ; le trône serbe n’est point un trône électif, il a toujours été regardé comme héréditaire au moyen-âge aussi bien qu’aujourd’hui. Rien n’est prévu dans la loi serbe pour le cas de déchéance ; la force nationale décide seule, par sa réaction tumultueuse peut-être, mais irrésistible, qu’une dynastie est devenue indigne de régner. En présentant aux grandes puissances la question serbe comme un débat d’élection aujourd’hui terminé en apparence, la Russie tend à changer radicalement la constitution politique de la Serbie, elle veut y installer un trône électif à la place d’un trône héréditaire : c’est elle qui se montre subversive et révolutionnaire, en prétendant réagir contre une révolution.

Mais, dira-t-on, puisque le trône serbe est héréditaire, il faut le rendre à la dynastie légalement reconnue par l’Europe et garantie par la Russie, il faut rétablir les Obrenovitj. C’est ce que le cabinet russe avait d’abord demandé. D’où vient donc qu’il s’est désisté de cette prétention en apparence si légitime ? d’où vient qu’il n’a exigé qu’une simple réélection du prince serbe, et s’est engagé à reconnaître le nouvel élu, fût-ce même le prince actuel ? Il est prodigieux qu’on ne s’aperçoive pas qu’en paraissant céder à l’Europe sur ce point, la Russie obtenait réellement ce qu’elle n’osait pas espérer d’abord, et s’ouvrait, bien mieux que par l’occupation même du Balkan, une route large et sûre vers Constantinople. En effet, si le tsar s’était borné à réclamer la réintégration du prince déchu, il aurait pu le ramener et le soutenir par la force de ses baïonnettes, comme il a si long-temps soutenu Miloch par l’ascendant de sa diplomatie ; mais, une fois rétablie, cette dynastie, qui ne s’est jamais appuyée que sur l’étranger et dont les Serbes ne veulent pas, serait tôt ou tard tombée de nouveau, et avec elle eût été vaincue l’influence russe. Au contraire, en provoquant une réélection, la Russie a nié le droit d’hérédité du fils de George-le-Noir aussi bien que du fils de Miloch ; elle a méconnu, au nom de la légalité, le principe dynastique chez le seul peuple chrétien d’Orient qui, par son humeur guerrière et ses vastes affiliations politiques en Turquie, pût lui barrer la route de la Méditerranée. Aujourd’hui, en paraissant céder au vœu du peuple, elle considère et fait considérer en Eu-