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arracher les raïas bulgares au sommeil. Les Monténégrins, bien qu’ils soient peut-être en réalité plus libres que leurs frères de Serbie, ne forment pas un état assez étendu pour pouvoir agir si loin de leurs foyers, seuls et sans alliés. Quant aux Bosniaques, divisés par leurs croyances religieuses en trois camps rivaux, musulman, catholique latin et schismatique, ils sont incapables d’offrir un ensemble quelconque de vues politiques, et ont besoin, plus encore que les Bulgares, de recevoir l’impulsion des Serbes libres qui les environnent. La même impuissance se remarque chez les Albanais, tant slaves que mirdites, tant chrétiens orientaux que catholiques latins. Toutes ces populations se rattachent plus ou moins à la principauté de Serbie, qui est leur avant-garde naturelle, et dont l’initiative politique, si resserrée en apparence, s’étend réellement de la mer Noire à l’Adriatique.

La Porte ottomane, dans ses rapports avec les Slaves, subit aujourd’hui les conséquences de sa fausse politique. On sait comment la destruction de l’aristocratie bosniaque et des janissaires a démantelé l’empire du côté de la Russie et du côté de l’Europe. Maîtres naguère encore de tous les Balkans, depuis ceux de la Bulgarie et du Danube jusqu’à ceux de l’Épire, ces terribles spahis, en disparaissant, n’ont laissé à leur place que le fantôme du nizam, et l’aspect de cette faible milice provoque plutôt qu’il n’arrête le développement des forces chrétiennes, comme si la Porte, dans toutes ses réformes, avait eu pour but le triomphe du christianisme. Maintenant, que reste-t-il à la vieille race d’Othman ? Après avoir tué ses propres enfans, elle n’a plus d’autre ressource que d’adopter ses raïas pour ses défenseurs, et au besoin pour ses héritiers naturels. Elle semble heureusement comprendre cette nécessité, si l’on en juge par la conduite qu’elle a tenue dans les évènemens de Serbie de 1842 et 1843.

La Serbie, comme le Monténégro, comme la Mirdita, doit à la guerre son émancipation. Il en résulte que ceux qui ont versé le plus glorieusement leur sang dans les combats de la liberté ont acquis des titres sacrés au pouvoir. Telle est, dans ces trois pays, l’origine de dynasties qui sont, si l’on veut, purement militaires, mais qui jouissent d’une popularité d’autant plus grande qu’elles ne prétendent pas à la souveraineté législative, et n’emploient leur épée qu’à faire triompher la loi ou la volonté nationale. On comprend que ces trois dynasties doivent être le point de mire contre lequel se dirigent toutes les attaques des puissances intéressées à neutraliser les nouveaux états slaves, afin de s’établir sur leurs ruines. C’est ainsi que