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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

avec le temps à n’être plus que deux dialectes d’une même langue. Ce rapprochement salutaire sera surtout favorisé par l’analogie complète qui existe entre les traditions poétiques et héroïques des deux races, ce qui permettra de répandre chez l’une et l’autre les mêmes chansons populaires, légèrement modifiées dans l’expression.

Aucun obstacle sérieux ne s’oppose donc dès à présent à ce que les races serbe et bulgare combinent leurs intérêts, et se prêtent un mutuel secours pour résister à leurs ennemis communs, qui évidemment ne sont plus les Turcs, désormais trop affaiblis, mais les grandes puissances voisines. Une politique prévoyante devrait se hâter de mettre à profit une situation qui, en se consolidant, placerait hors de toute atteinte le thème favori des diplomates français, le maintien de l’équilibre européen. En effet, depuis que l’Hellade est séparée de l’empire turc, les pays slaves sont devenus la force principale de la Turquie. Les Bulgaro-Serbes, on l’a vu, n’auraient aucune répugnance à unir leurs armes avec celles des Turcs dès qu’ils seraient sûrs, en soutenant la Porte, de combattre pour leur patrie. Si l’on objecte que la religion, qui sépare les Slaves des Osmanlis, les rapproche, au contraire, des Moscovites, nous répondrons que les Slaves de la péninsule orientale ne sont pas devenus aujourd’hui plus fanatiques qu’ils pouvaient l’être au XVe siècle : alors cependant ils se liguèrent avec les Turcs contre les Grecs, qui, après avoir été leurs instituteurs religieux, voulaient devenir leurs maîtres politiques. Pourquoi les Slaves ne feraient-ils pas aujourd’hui contre leurs frères les Russes la ligue qu’ils maintinrent jadis pendant un siècle et demi contre leurs frères et coreligionnaires les Byzantins ? Cette ligue que leur position géographique impose aux Bulgaro-Serbes, ils la veulent, ils en ont déjà posé les bases. Les élémens sociaux, il est facile de le prouver, viennent compléter ici l’œuvre de la nature.

IV.

Des nombreuses peuplades qui peuvent composer l’union bulgaro-serbe, il n’y a jusqu’à ce moment que la principauté de Serbie, le Monténégro et la Mirdita qui aient su obtenir une existence nationale incontestée. Seuls, on peut le dire, les Serbes sont l’ame de ce grand corps slave, qui occupe, entre le Danube et la Grèce, les plus belles et les plus inaccessibles montagnes de l’Europe. Forts de leur patriotisme et de leurs droits politiques, les Serbes peuvent seuls