Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/290

Cette page a été validée par deux contributeurs.
284
REVUE DES DEUX MONDES.

nitsa et le Tsernoïevitj. Ce magnifique lac, la proximité de la mer, dont il n’est qu’à sept lieues, et avec laquelle il communique directement par la Boïana, que les petits navires remontent sans peine, tout contribue à faire de Skadar une ville de première importance. Aussi, quoique déchue, compte-t-elle encore 20,000 habitans, et il y a dans ses murs place pour un nombre triple. Or, de tout temps Skadar fut une ville serbe, et, une fois maîtres de cette capitale slave de l’Albanie, les Serbes du Monténégro exerceraient sur les Chkipetars une influence prépondérante. N’eussent-ils entre leurs mains que le petit port d’Antivari, entrepôt des exportations du bassin de la Drina, leur position serait aussitôt changée vis-à-vis des provinces voisines.

L’Albanie est depuis longues années dans une anarchie déplorable. L’impuissance des pachas à se faire obéir ailleurs que dans les plaines et les plus larges vallées a donné naissance à une foule de districts libres qui se gouvernent eux-mêmes, malheureusement sans lien commun. Ce morcellement a du moins l’avantage de ranimer les influences naturelles, et de rétablir la division primitive de l’Albanie en deux grandes zones morales peuplées chacune d’au moins huit cent mille habitans. La zone qui s’étend au sud s’appelle généralement Épire, et celle du nord Mirdita. La zone méridionale, tournée à l’hellénisme, languit encore sous le joug exclusif des musulmans, par suite de l’apathie du gouvernement grec ; la Mirdita, où dominent les Slaves, est à peu près émancipée, grace aux tchetas (incursions) des Monténégrins. Le Bératino et l’écumeuse Voïoussa (l’ancien Aous), la rivière la plus profondément encaissée de la presqu’île gréco-slave, semblent marquer la délimitation naturelle entre ces deux moitiés de l’Albanie.

Les Mirdites indépendans se divisent en deux branches : ceux de la Mattia et ceux des Dibres. Les Mattes occupent, au nombre de 70,000, les deux rives de la Mattia sur une longueur de vingt-quatre lieues, et une ligne de montagnes qui s’étend de l’Adriatique jusqu’à la Macédoine. Leur évêque et leur prink, les deux chefs spirituel et temporel de la Mattia, résident ensemble avec leur conseil à Oroch (la montagne), obscur village qui a succédé à l’antique et célèbre Croïa, la ville royale de Skanderbeg, dans la tâche de représenter les hommes libres d’Albanie.

Moitié chkipetare et moitié slave, la seconde confédération, celle des Dibrans, occupe principalement la haute et la basse Dibre, vallées dont on admire la fertilité. Le nombre des Dibrans est inconnu,