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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

de soixante lieues. Là deux grandes montagnes attirent le regard du voyageur, qui ne les perd de vue qu’après plusieurs jours de marche : ce sont le Kablar et l’Ovtchar, deux mots qui signifient potier et berger. Ces pics semblent s’être séparés comme l’Ossa et l’Olympe, pour former une autre vallée de Tempé. Un jour, dit la légende serbe, ces deux géans s’accordèrent pour mener de concert leurs richesses à la Morava : le potier bâtit un canal en briques, où le berger versa le lait de ses troupeaux et le vin de ses collines, et le lait et le vin commencèrent à couler comme deux fleuves à travers la Serbie.

Nous devons cependant avouer que la plus grande partie des provinces peuplées par la race serbe est encore trop couverte de forêts, et offre d’ailleurs une superficie trop montagneuse, pour se prêter à un grand développement de culture. De là vient que toutes les villes serbes sont petites et pauvres ; on ne peut excepter que Saraïevo, qui, si la moitié de ses maisons n’était pas déserte, renfermerait cent mille habitans. Aussi cette ville, par sa grandeur et sa position à peu près centrale au milieu des pays serbes, devrait-elle passer pour la capitale de la race, si un peuple en travail de formation pouvait avoir une capitale permanente. Après Saraïevo viennent deux cités d’à peu près vingt mille ames, Belgrad, centre des affaires de la principauté de Serbie, et Skadar, chef-lieu de l’Albanie slave et capitale future des Monténégrins. Puis on trouve quelques villes de dix à douze mille ames, comme Nicha, Novibazar, Pristina ; il n’y a plus ensuite que des places de cinq à six mille habitans, Travnik, Mostar, Ipek, Oujitsa, Leskovats, Iagodina. Il faut être juste, et ne pas demander aux Serbes plus qu’ils ne peuvent donner ; en adoptant la vie pastorale, ils n’ont fait que se plier aux exigences des contrées qu’ils habitent : or, n’est-il pas naturel qu’une nation de pasteurs trouve sa cité partout où campent ses troupeaux et ses guerriers ?

C’est surtout dans les vastes solitudes où se trouvent disséminés les villages serbes, qu’on est frappé des tristes conséquences que l’oubli de l’Europe fait peser sur ces contrées. On est saisi de douleur en voyant que tant de fruits de tout genre, spontanément produits, ne sont pas même recueillis par l’homme découragé. C’est au bord des rivières, où la féconde énergie du sol excite le plus d’admiration, qu’on remarque le moins d’activité. D’impénétrables forêts dérobent souvent leur cours même à la vue : des noyers, des châtaigniers gigantesques, des pruniers enlacés de vignes sauvages, livrent annuellement aux corbeaux les fruits dont ils sont chargés.