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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

l’Archipel et l’Asie mineure, comptent encore au moins trois millions d’ames, ce qui porte à près de quatre millions le chiffre total des Hellènes tant libres que raïas, tant continentaux qu’insulaires. Ce peuple, qui est vraiment le peuple-roi de la Méditerranée, se trouve cruellement paralysé par les entraves qu’oppose à son commerce le divan des Osmanlis. Marins et marchands pour la plupart, les Grecs peuvent beaucoup moins encore que les Slaves se passer de communications libres avec Constantinople ; et, s’ils veulent obtenir de la Porte les concessions nécessaires à leur commerce, il faut qu’ils sachent fortifier leur position vis-à-vis des Turcs en abdiquant leurs vieilles antipathies contre les Slaves, pour conclure avec ces peuples une intime alliance. Ce n’est pas seulement l’union avec les Slaves, c’est la réconciliation avec les Turcs qu’il faut conseiller aux Grecs. Grecs, Slaves et Turcs, n’ont-ils pas à défendre leurs nationalités contre un adversaire commun, la Russie ? Plus asiatiques de mœurs et de caractère que les Hellènes, les Slaves heureusement ne partagent point leur aversion pour les Turcs ; moins ambitieux, ils supportent avec plus de patience le vasselage auquel l’Europe les condamne. Quel que soit le pouvoir qui gouverne à Stambol, ils sentent, nous le répétons, qu’il y a entre eux et lui une alliance nécessaire : c’est ce qui explique pourquoi, même au milieu de leurs guerres les plus acharnées contre les pachas turcs, même dans l’enivrement du triomphe, les Serbes tendent toujours à reconnaître la suprématie du sultan, et à conclure avec lui une coalition contre la Russie. Cette union turco-serbe, si elle était approuvée par la diplomatie européenne, rattacherait à la monarchie ottomane huit millions de montagnards, qu’elle émanciperait à des degrés divers. À la vue de cette réconciliation entre le Slave et l’Osmanli, les Grecs abdiqueraient peu à peu leurs rêves de vengeance contre la Porte, et, sous peine de subir un fatal isolement, ils se verraient forcés d’entrer eux-mêmes dans cette puissante union de tous les chrétiens de l’empire avec les Turcs. Ainsi les deux grandes races de l’Orient, les Grecs et les Slaves, seraient réunies par ce généreux pardon accordé à leurs anciens maîtres, qui ne pourraient plus devenir leurs oppresseurs.

Tel était, tel est encore le plan des hommes qui ont dirigé la révolution serbe de 1842 ; mais ces hommes éclairés et sincèrement dévoués à leur pays voulaient unir, comme héritier futur, un Orient nouveau et chrétien à l’Orient décrépit de Mahomet, dont les grandes puissances prétendent être les seules héritières : il fallait donc étouffer, dans l’intérêt austro-russe comme dans l’intérêt de l’Angleterre,