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mêmes, ou à proclamer sa déchéance, si, résistant à la réforme, elle est répudiée par l’Europe. Aucun jugement défavorable ne devrait donc être porté sur les Bulgaro-Serbes par les diverses opinions qui divisent la diplomatie. L’opinion qui veut l’intégrité de l’empire ottoman n’aura pas de partisans plus zélés que ces peuples, dès qu’elle leur aura assuré les droits que toutes leurs insurrections réclament. L’opinion qui regarde les Turcs comme condamnés à disparaître trouvera également les Slaves prêts à l’action, car, pour les plus modérés d’entre eux, la domination ottomane est un état provisoire, une forme destinée à cacher le travail de réorganisation intérieure des populations indigènes. En continuant de les couvrir de son ombre, le sultan peut les mettre en état de repousser un jour l’invasion autrichienne et le protectorat russe ; c’est dans ce seul but qu’ils seraient disposés à prêter au sultan leur appui. Pour n’avoir pas compris cette tendance, la diplomatie européenne a commis la faute énorme d’abandonner à leurs ennemis austro-russes les Slaves libres du Danube, qui, depuis l’expulsion du prince Mikhaïl, en septembre 1842, avaient essayé de se confédérer avec la Porte. Pourtant, mieux que l’indépendance de l’Égypte et de Méhémet-Ali, cette confédération pouvait et peut encore sauver l’équilibre et la paix de l’Europe, en mettant fin aux empiètemens du tsar sur la Turquie.

S’il y avait parmi les raïas unité de race, la question serait depuis long-temps décidée. La Turquie d’Europe, qui, prise dans son ensemble avec les états moldo-valaques, est à peu près grande comme la France, donne un chiffre de seize millions d’habitans, où les Turcs figurent à peine pour un million. Que pourrait cette poignée d’étrangers contre quinze millions d’indigènes ? Mais ces quinze millions de sujets et de tributaires diffèrent entre eux de langue, de souvenirs, de sympathies, et c’est l’impossibilité où ils ont été jusqu’ici de s’entendre pour agir, qui a fait naître et qui prolonge l’étonnant empire d’une simple tribu d’Asiatiques. On ne peut nier néanmoins que les chrétiens de la Turquie n’aient commencé à se rapprocher les uns des autres, et qu’ils ne réunissent peu à peu leurs forces en les ramenant à deux centres. Ainsi les populations slaves se groupent de plus en plus autour de la Serbie, comme les populations grecques autour du trône d’Athènes, et ces nombreuses peuplades finiront par se fondre en deux grandes unités, slave au nord, grecque au sud. 850,000 Hellènes sont maintenant affranchis ; mais les différentes tribus de race grecque en Épire, en Macédoine, en Romélie, dans