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dentales, trop désunies pour opposer à l’Orient, devenu russe, une coalition durable. La diplomatie européenne, si elle tient à prévenir ce danger, doit enfin changer de route, et offrir un appui à ceux des Slaves qui ne sont pas encore sous la suprématie moscovite. Pour assurer à l’avenir l’équilibre européen, il suffirait peut-être de soutenir ces sociétés renaissantes contre toute tentative de conquête, de leur garantir des droits civils, et de reconnaître leur indépendance politique sur tous les points où elle tend à s’établir.

Nulle part il n’est aussi facile qu’en Turquie de rendre aux Slaves cette patrie qu’ils cherchent, libre et glorieuse, en dehors du protectorat russe. Vassaux d’un pouvoir aussi impuissant que l’est désormais celui de la Porte, les Slaves de Turquie peuvent beaucoup mieux que ceux de la Hongrie, de la Gallicie et de la Pologne prussienne, prétendre à rétablir chez eux un gouvernement national. Les Slaves de Turquie offrent une masse imposante de sept à huit millions d’hommes agglomérée sur un territoire inaccessible à des envahisseurs qui ne seraient pas soutenus par les habitans eux-mêmes. Ces tribus, qui couvrent tous les Balkans, de la mer Noire à l’Adriatique, se divisent en deux branches, les Serbes et les Bulgares. La branche serbe, outre la principauté de Serbie, comprend le Monténégro, la Bosnie, et de nombreux districts de l’Albanie et de la Macédoine. Si une puissance européenne ne vient pas les diviser, les populations serbes, parlant toutes la même langue, se réuniront tôt ou tard en un seul état fort de deux millions et demi d’indigènes, non compris un million de Mirdites et de Chkipetars, que leur intérêt pousserait à entrer dans la coalition. Bien que supérieure en nombre, puisqu’elle compte 4,500,000 ames, la branche bulgare est, vis-à-vis de la Serbie, dans un état passager d’infériorité politique. Trop paisibles et trop absorbés dans la vie agricole pour prendre spontanément l’initiative d’une guerre d’émancipation, ces laboureurs opprimés semblent n’avoir d’avenir qu’en s’unissant de sympathies et d’opinions aux pâtres belliqueux du Danube et du Monténégro. Ambitieuse et dominatrice, la race serbe attire de plus en plus tous les Slaves de Turquie dans son cercle d’action. Il est à désirer que cette tendance fédérative se propage, car, si les deux branches serbe et bulgare ne peuvent, isolées, résister à une grande puissance, unies, elles deviendront invincibles. Leur destinée a d’ailleurs toujours été commune ; pourquoi cette communauté cesserait-elle au moment même où il importe le plus qu’elle subsiste ?

Les huit millions d’hommes appelés à composer l’union bulgaro-