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dans l’ame de Mme de Pontailly. Sous cette splendide floraison disparurent aussitôt le doute, les regrets, la défiance de soi-même, herbes amères qui tapissent le déclin de l’âge. Pendant un instant, la marquise se sentit jeune, séduisante, irrésistible, et la victoire lui parut assurée.

— Coupons la scène ici, se dit-elle en montrant la savante expérience d’une reine en coquetterie ; s’il part troublé, il reviendra épris.

La marquise feignit alors de remarquer avec une sorte d’anxiété pudique la contenance embarrassée du poète.

— Deux heures et demie ! dit-elle en se levant d’un air effarouché qui eût mieux convenu à une pensionnaire ; en vérité, je ne sais à quoi je pense. Tous les jours, je sors à deux heures, et cette infraction à mes habitudes sera certainement remarquée. Il y a long-temps que j’aurais dû vous quitter, ou plutôt j’aurais mieux fait de ne pas vous recevoir : car je sens que vous pouvez être un homme dangereux pour mon repos ; tel fut le commentaire qu’un regard éloquent ajouta à ces paroles.

Moréal s’était levé avec l’empressement d’un captif rendu à la liberté, et déjà il s’inclinait pour prendre congé de la marquise.

— Donnez-moi le bras jusqu’à ma voiture, reprit-elle d’une voix mignarde ; autrement, j’aurais l’air de vous renvoyer.

Mme de Pontailly entra dans sa chambre, et en ressortit après avoir ajouté à sa toilette un manteau garni de fourrures, et un chapeau où l’abus des dentelles n’était compensé que par la profusion des fleurs. En descendant l’escalier, Moréal s’aperçut que la marquise s’appuyait sur son bras peut-être un peu plus que cela n’était indispensable, et, lorsqu’elle fut assise dans le coupé, il reçut un dernier regard qu’un poète classique n’eût pas manqué de comparer aux flèches que décochaient les Parthes en fuyant.

XV.

Après le départ de la voiture, Moréal resta un instant immobile sous la porte cochère.

— Décidément, je suis ensorcelé, se dit-il ; n’est-ce donc pas assez de la haine de M. Chevassu, des pistolets de M. Dornier et de la flamberge de M. Prosper ? faut-il encore que je subisse la mitraille de cette coquette à trois chevrons, qui me mettra indubitablement à la porte pour peu qu’elle s’aperçoive que j’ai le mauvais goût de lui