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UN HOMME SÉRIEUX.

— Si j’en venais à faire mes conditions, répondit-il, je serais peut-être un peu plus exigeant que vous ne le supposez.

— C’est donc la simarre qu’il vous faut ? demanda le vieillard d’un air ironique.

— Croyez-vous qu’elle m’écraserait ? répondit M. Chevassu en se redressant de toute sa hauteur.

— Il ne s’agit pas de cela, dit la marquise pour prévenir une de ces discussions acerbes qui déjà plus d’une fois avaient éclaté en sa présence entre son frère et son mari ; l’affaire est bien convenue ainsi : après déjeuner, M. de Pontailly se mettra en course pour obtenir la liberté de notre étourdi.

— Je m’acquitterai de cette mission de grand cœur, dit l’émigré, car au fond Prosper est un excellent garçon.

— Et M. Dornier ? reprit Mme de Pontailly après avoir réfléchi un instant, ne ferez-vous rien pour lui ?

— Dornier, s’écria le marquis, c’est un sournois, c’est un flatteur, c’est un pédant, mais ce n’est point un poltron, comme il était assez naturel de le croire ; dès-lors je lui dois une réparation complète, et, morbleu ! quelque satisfaction qu’il me demande, je suis prêt à la lui donner.

— Je savais bien que Dornier était incapable d’une lâcheté, dit à son tour M. Chevassu.

— Ah ! vous convenez donc que c’eût été une lâcheté ! reprit vivement M. de Pontailly. Que devient alors votre belle théorie du courage civil ?

— Ne sauriez-vous échanger deux paroles sans que cela amène une discussion ? dit la marquise en intervenant de nouveau dans un but pacifique ; il ne doit être question que de M. Dornier, envers qui nous avons tous été plus ou moins injustes.

— C’est vrai, reprit le député ; pour ma part, j’ai été sur le point d’oublier en un moment deux années d’amitié dévouée et de fidèles services.

— Et moi, ajouta la marquise, je me reproche de l’avoir ainsi condamné sans qu’il pût se défendre.

— Ne trouvez-vous pas, ma sœur, que tout à l’heure nous avons agi un peu précipitamment ?

— J’allais vous le dire ; mais il n’est jamais trop tard pour reconnaître un tort.

— Si je reprenais mon ancien projet, vous ne me blâmeriez donc pas ?