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REVUE DES DEUX MONDES.

— Je vous promets du moins d’y employer tout mon crédit, et, pour vous donner tout de suite une preuve de ma bonne volonté, à dater d’aujourd’hui je ne recevrai plus M. Dornier.

— Ah ! ma bonne tante, pour être délivrée de cet être insupportable, je me soumets à tout.

Dès la veille, Mme de Pontailly avait décidé qu’en raison de la tache dont il venait de se souiller, André Dornier n’était plus digne d’être admis dans son salon ; mais, par une ruse dont fut dupe la jeune fille, elle attribua au désir de lui prouver sa bienveillance cette résolution arrêtée déjà dans son esprit.

— Nous voilà enfin d’accord, reprit-elle avec un sourire qui jusqu’alors avait paru étranger à sa froide physionomie ; bonsoir, ma nièce. À votre âge, l’avenir est bien long, et j’espère qu’avec de la patience tous vos vœux seront satisfaits. En attendant, et malgré le rôle de mentor que je dois remplir près de vous, soyez sûre d’avoir en moi une amie sincère.

La marquise baisa sa nièce au front et la congédia d’un air d’affection si bien joué, qu’Henriette, dans l’inexpérience de son ame, se laissa complètement abuser par ce semblant hypocrite.

— Je me trompais ; elle est vraiment bonne, se dit-elle en sortant. Je suis sûre qu’il lui en coûte de m’affliger, et, pour qu’elle me défende de me trouver avec M. de Moréal, il faut que cela soit réellement inconvenant ; cependant je n’y voyais pas de mal.

À l’idée d’être de nouveau séparée du vicomte, Henriette sentit couler quelques pleurs refoulés jusqu’alors par la présence de sa tante, mais qu’en ce moment elle ne chercha plus à retenir. Cette tendre douleur eut un témoin sur qui ne comptait pas la jeune fille. Pour aller de la chambre de la marquise à la sienne, il lui fallait traverser les deux salons, où à plus de minuit elle se croyait sûre de ne trouver personne. Ce fut donc avec un étonnement où se mêla bientôt le pudique dépit d’être surprise les yeux baignés de larmes, qu’en entrant dans le second de ces salons elle aperçut au coin du feu son oncle, qui semblait occupé à lire les journaux du soir. Au bruit qu’elle fit en ouvrant la porte, le vieillard tourna la tête, et d’un signe lui imposa silence.

— Je t’attendais, lui dit-il à demi-voix lorsqu’elle fut arrivée près de lui, et je vois que j’ai bien fait, car tu pleures.

— Ce n’est rien, mon oncle, répondit Henriette en portant la main à ses yeux.

— Comment, ce n’est rien ! reprit vivement le marquis ; je voudrais