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deloupe furent mis en culture par des laboureurs français, et que, pendant le premier siècle d’exploitation, les noirs employés comme auxiliaires dans ces îles y furent en minorité. Présentement encore, il y a à Cuba beaucoup de blancs qui partagent les fatigues des esclaves. Il n’est donc pas exact de dire d’une manière absolue que le climat des tropiques dévore les Européens ; mais il est malheureusement vrai que, parmi les émigrans d’Europe, la mortalité est ordinairement très grande[1]. La raison en est simple : ce ne sont pas les bons ouvriers, les hommes énergiques et moraux qui sont réduits à s’expatrier ; on ne recrute jamais que des individus plus ou moins dégradés par la misère et l’inconduite. À peine débarqués, ils abusent des facilités offertes au libertinage, et s’épuisent lorsqu’ils auraient le plus besoin de leurs forces pour surmonter les influences mortelles. Rien ne serait plus désastreux pour nos colonies, dans les circonstances présentes, que l’insuccès d’un appel fait aux travailleurs européens. Si l’on doit avoir recours au grand remède des immigrations, il conviendra que l’autorité souveraine en règle minutieusement l’usage. Le choix des personnes ou plutôt des familles à recruter, les précautions sanitaires pendant le trajet, le régime hygiénique après le débarquement, l’assainissement des localités, les modifications à introduire dans les procédés de culture, les conditions des engagemens, fourniront matière à des études très variées. La surveillance serait plus facile et plus efficace si l’on concédait le monopole des transports à une compagnie loyale et assez puissante pour accepter les chances d’une responsabilité sévère.

Un homme fort distingué, M. Burnley, a dit devant la commission coloniale : « Le succès de l’abolition du servage en Europe a tenu précisément à cette circonstance que le prix et la qualité du travail libre, à l’époque où cette révolution s’est accomplie, étaient devenus préférables à ceux du travail esclave. » Si nous ne nous abusons point, il s’en faut peu que l’émancipation ne présente déjà, dans les Antilles françaises, les mêmes chances de réussite. Nous espérons qu’on nous pardonnera, en pareille matière, l’aridité d’une argumentation hérissée de chiffres. L’administration de la Guadeloupe, consultée sur le prix de revient des sucres, a fourni le budget d’une habitation de 200 nègres[2]. Prenons ces comptes pour base, et essayons d’évaluer le coût de la main-d’œuvre dans les conditions présentes :

CAPITAL ENGAGÉ.
Première mise de fonds pour l’achat de 200 nègres : 226,500 fr., dont l’intérêt, calculé sur le pied de 10 p. 100 (taux modéré dans l’état de nos colonies), représente un déboursé annuel de 
22,650 fr.
À reporter 
22,650 fr.
  1. En 1839 et 1840, deux mille Français furent transportés à la Trinité par des bâtimens du Havre ; en 1841, plus des deux tiers avaient succombé.
  2. Dans les Notes de M. Lavollée, page 93.