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DE LA SOCIÉTÉ COLONIALE.

Comme ressource extrême, on pourrait, à l’imitation de l’Angleterre, tenter les hasards d’une immigration. Rien n’est plus simple, en apparence, que de déverser le trop plein de nos villes industrieuses dans les pays où la subsistance est facile, où les bras manquent au travail ; en réalité, nulle entreprise n’est plus chanceuse. Il y a quatre ou cinq ans, lorsque les planteurs anglais se crurent menacés d’une désertion générale des noirs, ils demandèrent des travailleurs à toutes les contrées du globe. Les assemblées locales votèrent des sommes considérables pour fournir des primes d’encouragement ; des sociétés, formées sur la plus vaste échelle, mirent en pratique divers plans d’immigration ; des agens insidieux contractèrent des enrôlemens dans les deux mondes. Maurice attira en assez grand nombre des coolie indiens[1] et des Malgaches. La Trinité embaucha des noirs libres des États-Unis, et fit l’essai d’un nouveau mode de recrutement sur la côte méridionale de l’Afrique. La Guyane, la Jamaïque et les colonies secondaires des West-Indies se partagèrent un pêle-mêle d’Anglais, d’Irlandais, de Français, de Portugais, d’Allemands, d’insulaires de Malte et des Açores, d’Américains du Nord, d’Hindous, d’Africains de diverses races, librement engagés ou capturés par les négriers. La position fausse de ces auxiliaires donna lieu à des contestations sans nombre, et jusqu’ici l’expérience ne paraît pas avoir été plus brillante pour les maîtres que pour les émigrans. Lorsque ceux-ci ne sont pas façonnés à la civilisation européenne, comme les prolétaires de l’Hindoustan ou les nègres de l’Afrique, il est difficile de les traiter franchement comme des ouvriers libres, et on est forcé d’enchaîner ces barbares par une discipline qui ressemble beaucoup à l’esclavage. Aussi les sociétés religieuses n’ont-elles pas manqué de dénoncer les engagemens libres comme une traite d’un nouveau genre, plus perfide que l’ancienne ; elles ont eu assez de crédit pour faire suspendre les importations des coolies et pour jeter de la défaveur sur les recrutemens opérés à la côte d’Afrique. Quant aux blancs civilisés, la grande difficulté est celle de l’acclimatement. On est généralement porté à croire que la race blanche est impropre à la grande culture des denrées tropicales : c’est une erreur propagée à dessein par les partisans de l’esclavage. À quelque race qu’on appartienne, les fonctions vitales sont dangereusement troublées par un grand changement atmosphérique. Les nègres y résisteraient moins encore que les blancs, si les négriers, intéressés à leur conservation, ne les astreignaient pas à des règles hygiéniques que négligent souvent les Européens livrés à eux-mêmes. D’ailleurs, a-t-on jamais fait le compte des nègres qui réussissent, comme on dit aux colonies ? Nullement. On sait qu’une partie d’entre eux, 2 sur 5 environ, doivent payer le tribut mortel. C’est un déchet prévu dont les spéculateurs ne s’inquiètent guère.

On oublie trop facilement que Saint-Christophe, la Martinique et la Gua-

  1. On nomme ainsi, dans les Indes orientales, des hindous des classes inférieures qui vivent très misérablement en qualité de manœuvres ou de domestiques.