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DE LA SOCIÉTÉ COLONIALE.

incapables de travail, en raison de leur âge ou de leurs infirmités, seraient déclarés affranchis et resteraient confiés aux soins de leurs anciens maîtres, moyennant une pension alimentaire payée par l’état. Quant aux adultes valides, leur sort serait en général amélioré par une série de règlemens. Leur pécule, que le maître respecte aujourd’hui par tolérance, deviendrait une propriété mise à l’abri de la loi. Toute personne non libre serait admise à racheter sa liberté à prix débattu, et en requérant au besoin l’arbitrage des magistrats publics. Enfin, la présente loi, après vingt ans d’exécution, recevrait son complément par une abolition complète de l’esclavage. Tel est le plan appuyé par la minorité de la commission[1]. Sa timidité est son principal mérite. Il offre en outre un avantage qui est de nature à faire impression sur les chambres, celui de l’économie, puisque le sacrifice imposé à l’état ne dépasserait pas 80 millions, répartis sur plus de vingt années. Mais les inconvéniens sont nombreux. Le plus grand danger serait de substituer à la discipline ordinaire un régime bâtard, qui n’offrirait ni les bénéfices du travail forcé, ni les chances du travail libre ; la désorganisation des ateliers aurait lieu comme dans le système du rachat par simple pécule. Qui sait si la jalousie, le désespoir des esclaves privés des moyens de se libérer, ne détermineraient pas une irritation dangereuse pour l’ordre public ? Qui sait si les colons prêteraient les mains à un mécanisme qu’il leur serait facile d’entraver ?

À tout prendre, le système qui réunit le plus de chances est celui d’une émancipation générale et simultanée, avec un régime intermédiaire, comme passage de la servitude à la liberté. Or, ce système admet trois variantes principales : l’apprentissage anglais, la combinaison imaginée par M. de Tocqueville, et celle que M. le duc de Broglie a formulée.

L’acte mémorable qui accomplit l’abolition de l’esclavage dans dix-neuf colonies anglaises[2] sanctionnait en substance les dispositions suivantes — Tout individu, de l’un ou de l’autre sexe, âgé de six ans et au-dessus, inscrit sur les rôles des esclaves antérieurement au 1er  août 1834, deviendra, dès cette époque, apprenti-travailleur ; en cette qualité, il devra son travail, pendant un temps déterminé, à la personne à qui il le devait comme esclave. Les apprentis sont divisés en trois classes : les travailleurs ruraux attachés au sol, les travailleurs exerçant une profession mécanique, et les domestiques. — Le temps de l’apprentissage, pour les individus des deux dernières classes, est de cinq ans (à dater de la promulgation de la loi jusqu’au 1er  août 1838), et il sera de sept ans (jusqu’au 1er  août 1840) pour les travailleurs ruraux, dont on ne pourra exiger plus de 45 heures par semaine. — Tout apprenti

  1. Cinq voix seulement contre neuf.
  2. Les îles Bermudes, les îles Bahama, la Jamaïque, Honduras, les îles Vierges, Antigue, Mont-Serrat, Nevis, Saint-Christophe, la Dominique, la Barbade, la Grenade, Saint-Vincent, Tabago, Sainte-Lucie, la Trinité, la Guyane anglaise, le Cap de Bonne-Espérance et l’île Maurice.