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duction des denrées coloniales, particulièrement du sucre, du rhum et du café, a subi une baisse de 25 à 30 pour 100 ; mais le défrichement des terres, la culture des végétaux alimentaires, l’élève des bestiaux et de la volaille ont augmenté : il y a donc eu déplacement d’activité plutôt qu’abandon du travail. — La désertion des ouvriers dans les villages libres a été ordinairement provoquée par le mauvais vouloir des maîtres. L’exagération des salaires tient à des causes que des mesures de bonne police pourraient corriger.

En résumé, détresse financière de nos colonies, effroi des débiteurs à la menace d’une liquidation générale, tels sont les motifs véritables de l’opposition des colons français à tous projets d’affranchissement. Dangers d’une interruption des travaux, impossibilité de rétribuer convenablement la main-d’œuvre, insuffisance de la circulation pour le paiement des salaires, telles sont les craintes qu’on exagère. C’est au point de vue de ces difficultés qu’il faut se placer pour apprécier les divers modes d’affranchissement proposés jusqu’ici.

IV. — SYSTÈMES PROPOSÉS.

Ayant à faire connaître les modes divers d’émancipation proposés ou déjà mis en pratique, nous imiterons l’usage suivi par les assemblées délibérantes dans le vote des amendemens, et nous commencerons notre série d’analyses par les systèmes les plus excentriques.

Les difficultés présentes devaient accréditer les théories économiques qui condamnent absolument les établissemens coloniaux. Après avoir fait d’énormes sacrifices pour substituer dans ses colonies le travail libre au travail forcé, la France ne pourrait-elle pas les perdre à la première guerre ? N’est-il pas indifférent pour notre marine d’aller chercher les sucres dans les ports libres du Brésil ou des Indes, ou de les prendre dans les ports privilégiés des Antilles ? L’achat des sucres étrangers ne serait-il pas avantageux aux consommateurs, qui profiteraient des bas prix, avantageux au trésor, qui prélèverait une taxe plus forte ? Ne se ménagerait-on pas ainsi les moyens de multiplier les traités de commerce dans l’intérêt des fabriques de la métropole ? Ces argumens, puisés dans les doctrines de Say, ont trouvé de l’écho jusqu’au sein de nos assemblées consultatives. Interrogés en 1841 sur la question des sucres, les conseils généraux de l’agriculture et du commerce demandèrent, à mots couverts, l’émancipation politique de nos possessions extérieures, c’est-à-dire la rupture du pacte colonial et la conservation de nos colonies comme positions militaires, mais l’abandon des spéculateurs coloniaux à leur mauvais sort. Il y a des opinions qu’on ne discute point parce qu’elles blessent le sentiment intime : celle-ci est de ce nombre. Proposerait-on l’abandon d’un département continental parce qu’il serait pauvre ? Nos établissemens lointains ne sont-ils pas aussi des départemens français ? D’ailleurs une force mystérieuse, un irrésistible besoin d’expansion pousse évidemment