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légère, que les marchands de la métropole réservaient pour ce genre de commerce, dit de pacotille. Malgré ces entraves, nos colonies étaient florissantes ; c’est qu’elles trouvaient un ample dédommagement dans le privilége de fournir sans concurrence toutes les denrées tropicales consommées ou exportées par la France. Ainsi, en 1789, la partie française de Saint-Domingue échangeait seule contre des produits européens autant de sucre, vingt fois plus de café, et dix fois plus de coton que n’en produisent actuellement toutes nos colonies. Après 1815, la monarchie, qui aimait à s’inspirer des traditions du passé, essaya la restauration de l’ancien régime colonial, et, depuis la loi de 1822, qui écartait les sucres exotiques par une surtaxe de plus de 100 pour 100, jusqu’en 1833, les planteurs durent encore réaliser des bénéfices considérables.

Peu à peu, et sans qu’on s’en aperçût à temps, diverses circonstances concoururent à fausser le pacte colonial. Après avoir encouragé la traite, on ouvrit tout à coup les yeux sur l’immoralité de ce commerce ; on l’abolit et on fit bien. Mais, puisqu’on imposait une restriction onéreuse aux colons, il eût été juste de proscrire d’une manière absolue les provenances des pays où la traite est pratiquée. Bien loin de là, on allégea la surtaxe qui avait écarté les sucres étrangers. Survient à l’improviste un concurrent des plus perfides, le sucre indigène. Les financiers s’engouent pour le miracle de la chimie, et lui laissent prendre un développement considérable à la faveur d’une exemption d’impôt. Les colons demandent-ils comme une faveur le droit de perfectionner leur industrie, réclament-ils l’abolition de cette loi injuste et ridicule qui les oblige à n’expédier que des marchandises grossièrement préparées, afin de laisser aux usines de la métropole les profits de la main-d’œuvre : on leur oppose les droits acquis des raffineurs. La menace de l’émancipation vient par surcroît comprimer le génie industriel. Il n’en fallait pas tant pour déterminer dans nos colonies une détresse d’autant plus douloureuse, que les colons y conservent les goûts aristocratiques et le laisser-aller de l’opulence.

Les efforts qu’on pourrait faire pour régénérer nos possessions transatlantiques rencontrent malheureusement un obstacle radical : c’est l’organisation ou plutôt l’essence même de la propriété. Une plantation coloniale est à la fois une exploitation agricole et une entreprise industrielle. Cette double spéculation constitue une propriété fort riche, à n’en considérer que le revenu ; ce n’est plus qu’une valeur lourde et incertaine dès qu’on songe à en réaliser le capital. Un domaine de cette nature, fonds commun d’une famille, reste presque toujours indivis, du consentement de tous les intéressés ; les droits de chacun sont garantis par des inscriptions hypothécaires : à ces priviléges légaux s’ajoutent presque toujours des engagemens particuliers, de sorte que beaucoup d’exploitations n’appartiennent plus qu’en apparence aux titulaires. À la fin de 1836, le montant de la dette inscrite à la Martinique s’élevait à 228 millions 921,288 francs, somme qui dépasse les deux tiers de la valeur totale des capitaux engagés dans cette colonie. À la Guadeloupe, les inscrip-