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DE LA SOCIÉTÉ COLONIALE.

arts, nos sciences, et jusqu’à l’usage de la parole ! » Pour ce qui concerne l’Afrique moderne, nous renvoyons les hommes impartiaux au grand ouvrage de Ritter[1], compilation honnêtement savante, qui interroge tous les voyageurs connus, et réunit un grand nombre de témoignages favorables aux Africains. Nous n’énumérerons pas, comme l’a fait complaisamment M. Schoelcher[2], les hommes de race noire qui se sont distingués par leur science ou leurs vertus. Pour rester dans les limites de la vérité pratique, nous dirons que la race noire, prise dans son ensemble, constitue au sein de l’espèce humaine une variété abâtardie et dans un état d’infériorité déplorable, mais qu’il n’y a pas d’impossibilité absolue à l’œuvre de sa régénération. Entraînées ou convaincues, toutes les nations blanches y coopéreront forcément. L’Angleterre a donné l’élan ; étudions la tâche réservée à la France.

La population totale de nos quatre colonies à cultures est, d’après le dernier recensement de 1840, de 376,000 ames. Dans ce chiffre, les esclaves comptent pour 253,124. Les noirs créoles en composent aujourd’hui la majorité, et parmi ceux qu’on a importés d’Afrique, les derniers venus, qui ont déjà douze ans au moins de séjour, ne le cèdent pas aux autres en aptitudes diverses. Chaque habitation est un petit état, qui a son gouvernement absolu, son culte, sa discipline, son tribunal, sa prison, son hôpital, et quelquefois ses écoles. L’autocrate est le colon propriétaire ; il a pour ministres l’économe, le régisseur et le commandeur. Quelques grandes plantations comptent plusieurs centaines de nègres. Tout ce qu’on demande aux esclaves, c’est l’emploi machinal de leurs forces pendant neuf heures par jour, le dimanche excepté. La case avec le jardin, le rechange, les soins médicaux, l’ordinaire, voilà ce que doit le maître à chacun des travailleurs. La case, dans les pays non encore émancipés, est une hutte légère divisée en deux compartimens, mal distribuée, mal éclairée, mal tenue ; le jardin qui l’entoure doit être de la contenance d’un douzième de carreau[3]. Une casaque de drap, deux pantalons et deux chemises de toile que les nègres portent jusqu’au dernier lambeau sans les ravauder jamais, voilà pour le rechange. La chaussure n’est qu’un objet de luxe, qu’un nègre porte habituellement à sa main. L’hôpital s’ouvre de droit pour tous les malades, les infirmes, les vieillards, pour les femmes en couches, pour l’enfant abandonné. L’ordinaire de la semaine se compose de neuf livres de farine de manioc, et de deux à trois livres de morue ou de bœuf salé. Dès l’âge de quatorze ans, l’esclave mâle ou femelle a droit à l’ordinaire dont la quotité est réglée par les ordonnances. Cependant, à la Guadeloupe, on remplace cette ration hebdomadaire par un jour de liberté, le samedi, avec autant de terre que chacun en peut mettre en culture. Cet arrangement est défendu par le Code noir ; on le tolère pourtant, et on fait bien, parce qu’il est favorable aux deux parties. Le maître, outre l’éco-

  1. Géographie de l’Afrique, traduite par E. Buret, 3 vol. in-8o.
  2. Surtout dans un petit volume intitulé Abolition de l’Esclavage, 1840.
  3. Mesure coloniale qui représente un peu moins de onze ares.