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DE LA SOCIÉTÉ COLONIALE.

déjà nombreux à Séville, formaient une population à part, reléguée dans un quartier isolé, avec une chapelle, des lois et une police particulière. Ils étaient réservés à la domesticité ou appliqués à la culture de la canne à sucre, que les Maures avaient depuis long-temps introduite dans la Péninsule. Ce furent d’abord des nègres de cette espèce, « nés en Espagne, dans les maisons chrétiennes, » qui furent transportés en Amérique : les premières autorisations, datées de 1500, ne sont accordées qu’à cette condition. Mais l’avidité des Espagnols épuisa si rapidement la race caraïbe, que la population noire de la Péninsule se trouva insuffisante pour fournir les travailleurs nécessaires aux conquérans du Nouveau-Monde. On commença à brocanter ou à enlever de pauvres sauvages, sur les côtes d’Afrique, avec l’autorisation du gouvernement de Madrid. « La cour ordonne, dit le statut royal de 1511, que l’on cherche les moyens de transporter aux îles un grand nombre de nègres de la Guinée, attendu qu’un nègre fait plus de travail que quatre Indiens. »

La traite était donc en vigueur dans le Nouveau-Monde lorsqu’en 1517 Las-Casas sollicita, au nom des colons espagnols, la permission de recruter en Afrique des esclaves travailleurs, « afin que leur service dans les établissemens ruraux et dans les mines permît de rendre moins dur celui des naturels. » Toutefois, s’il n’est pas exact d’attribuer à l’ami des Indiens l’expédient dont on déplore aujourd’hui les conséquences, il est certain qu’il lui a donné crédit par l’autorité de ses conseils. Les scrupules s’éteignirent dans les consciences religieuses : la cour de Madrid commença à concéder des assientos (priviléges de traite) que les favoris se disputèrent pour les revendre à d’impitoyables spéculateurs. Les hommes d’état qui gouvernèrent la France, jusqu’à Colbert, tolérèrent ce trafic comme une nécessité politique sans oser la légitimer par une sanction légale. Créateur d’un système colonial basé sur l’esclavage, Colbert n’hésita pas à recommander l’importation des noirs dans les possessions françaises, et, depuis l’arrêt de 1670 jusqu’au décret consulaire de 1803, on ne compta pas moins de six ordonnances pour encourager, par des primes et des priviléges, un commerce rangé aujourd’hui au nombre des délits infamans. Au XVIIIe siècle, l’Angleterre rechercha le monopole du transport des noirs bien moins pour les besoins de ses cultures coloniales que dans l’intérêt de sa marine. Aux négociations d’Utrecht, où ses représentans avaient le droit de parler en maîtres, elle réclama impérieusement les assientos, c’est-à-dire le privilége du trafic des nègres dans les parages du Nouveau-Monde, clause perfide qui donna lieu à de continuelles contestations, et même à des guerres maritimes. Les négriers anglais appartenaient en général au commerce de Liverpool, et, en 1787, cette place avait en mer 130 navires qui chargèrent 74,000 esclaves sur les côtes d’Afrique.

Lorsqu’au nombre approximatif des noirs implantés dans les colonies européennes, on ajoute celui des esclaves vendus annuellement au Caire, pour être répartis dans les états barbaresques ou orientaux ; lorsqu’on tient compte du nombre des victimes tuées dans les guerres que se font les chefs africains