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REVUE. — CHRONIQUE.

félicite sa muse d’avoir été lancée dans les Deux Mondes sous une robe française : ceci nous revient, comme on voit.

Outre les vers sur Paris, ce recueil en contient d’autres qui sont de nouveaux monumens de la vie nomade et poétique de Jasmin. On l’a déjà vu passant tour à tour à Toulouse, à Bordeaux, à Pau, et recueillant partout des couronnes. Aujourd’hui, c’est à Auch même qu’il est allé, dans la capitale de la Gascogne, et il y a été reçu et fêté comme le poète national ; le conseil municipal lui a voté une coupe d’or, qu’il célèbre dans un chant d’orgueil et de joie, comme jadis les poètes des jeux olympiques. Une autre fois, c’est à Villeneuve qu’il se rend, pour un concert donné au profit des réfugiés espagnols, et il appelle l’aumône en faveur de ces pauvres étrangers par des vers touchans qui ont pu quelquefois leur sembler écrits dans la langue même de leur patrie. Enfin, il y a au fond du Périgord une église commencée qui n’a pas encore de clocher : le curé a la bonne idée d’inviter Jasmin à venir dans le pays réciter des vers ; Jasmin y court, débite un poème sur l’église inachevée, et recueille assez de souscriptions parmi la foule attirée par son nom, pour que le clocher puisse être bientôt terminé : pieuse et modeste conquête qui doit l’avoir touché autant que ses plus brillans triomphes.

C’est ainsi que s’écoule la vie de Jasmin ; chacun de ses jours est un chant, et le recueil de ses vers contiendra toute son histoire. Une pareille existence étonne au milieu de notre siècle : on dirait un poète des âges primitifs, de ces temps où la poésie était mêlée à tout et présidait à toutes les actions des hommes. Si la langue que parle Jasmin fait craindre pour l’avenir de sa renommée, elle donne au moins à son présent une physionomie toute spéciale ; il lui doit d’être pour le midi de la France une sorte d’O’Connell poétique, moins grandiose sans doute que l’ardent agitateur, mais non moins populaire ; s’il ne remue pas autant de passions, il amuse, il intéresse aussi, et, s’il n’a pas cinq cent mille hommes pour l’applaudir, il est le seul poète de son temps qui réunisse autour de lui des milliers d’auditeurs partout où il lui plaît de se transporter. Du reste, ses nouvelles poésies sont égales aux précédentes. C’est toujours ce goût si châtié sous des formes vulgaires, ce style si poli et si travaillé dans un idiome qui l’est naturellement si peu ; toujours, dans les idées et les sentimens, cette même familiarité accompagnée d’une naturelle distinction, cette même gaieté mêlée de mélancolie. Jasmin est toujours lui-même, et il aurait tort de changer.


— Le génie fécond de Goethe est fait pour défrayer long-temps encore la sympathique assiduité des critiques et des traducteurs ; on n’en a jamais fini avec ce merveilleux protée qui affecte toutes les allures et se reproduit, toujours puissant, sous les formes les plus diverses. Déjà le théâtre, les romans, les mémoires, les œuvres scientifiques, une partie même de la correspondance de Goethe, ont été donnés avec plus ou moins de bonheur dans notre langue, et cependant bien des œuvres importantes du poète, bien des travaux émi-