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gracieux, mais assez monotone, les six sonnets qu’il juge les plus délicats. S’agit-il de Jacques Tahureau ? il nous sert toute vive sa plus jolie pièce, ce baiser tout enflammé : Qui a leu comme Vénus, etc., qu’on ne pourrait citer ici, dans une Revue, mais qu’on aime fort à trouver dans un livre sous le couvert de l’érudition[1]. À l’article d’Olivier de Magny, il n’a garde d’oublier le singulier Sonnet-Dialogue entre le nocher Caron et l’amant, sonnet qui dans le temps eut une telle vogue, et fut mis en musique à l’envi par Orlande, Lejeune et d’autres célèbres compositeurs[2]. À l’article Du Bartas, il le loue d’avoir quelquefois ennobli ses descriptions en y rattachant des sentimens humains ; ainsi, après avoir peint dans le cinquième chant de sa Semaine la migration des poissons voyageurs, le poète ajoute cette gracieuse comparaison que M. Viollet-le-Duc ne manque pas :

Semblables au François qui, durant son jeune aage,
Et du Tibre et du Pô fraye le beau rivage :
Car, bien que nuict et jour ses esprits soyent flattez
Du pipeur escadron des douces voluptez,
Il ne peut oublier le lieu de sa naissance ;
Ains, chasque heure du jour, il tourne vers la France
Et son cœur et son œil, se faschant qu’il ne voit
La fumée à flots gris voltiger sur son toict.

Je recommande encore l’article d’Isaac Habert, poète descriptif et didactique, dont on lit avec plaisir un fragment noble et pur, et, au XVIIe siècle, celui de Coutel, qui a disputé à Mme Des Houlières ses Moutons. M. Viollet-le-Duc poursuit, en effet, son catalogue poétique durant tout le XVIIe siècle ; sa période de Louis XIII est particulièrement très riche ; il a excepté et réservé le théâtre pour un prochain volume. Si nous avions à joindre quelque remarque critique générale aux éloges de détail que mérite presque constamment le modeste et ingénieux travail, ce serait surtout en ce que l’auteur, qui sait si bien les époques poétiques antérieures, semble méconnaître et vouloir ignorer trop absolument celle-ci. Il parle plus d’une fois de cette génération anti-poétique, et il désespère en un endroit de faire apprécier d’elle le sonnet, comme si le sonnet n’était pas un des fleurons les mieux greffés aujourd’hui. Il s’étonne ailleurs de la prédilection que certains écrivains de l’école dite moderne ont marquée pour ces devanciers du XVIe siècle : il les accuse presque d’inconséquence ; mais lui-même il est obligé de convenir pourtant que

  1. À propos de cette pièce, je me permettrai pourtant de proposer au texte une petite correction ; c’est à la seconde strophe, là où il est question de l’amoureux Ovide sucrant un baiser humide pour en tirer les douces fleurs. Quoique les deux éditions de Tahureau portent sucrant, il me paraît bien plus naturel de lire suçant.
  2. Je saisis, en passant, l’occasion de rectifier ici une erreur d’impression qui m’est échappée sur ce nom de Lejeune (page 96, Tableau de la Poésie française au seizième siècle, édition Charpentier, 1843.)