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Et s’il lui prenait fantaisie de passer de la parole à l’action, du rassemblement à l’émeute, que ferait M. O’Connell ? Dirigerait-il l’insurrection, ou s’empresserait-il de l’abandonner, de la livrer à elle-même, de laisser tomber sur elle toute la sévérité des lois ?

Le gouvernement, quel que soit son calme, sa force, son impassibilité, peut-il sans péril laisser se former en Irlande un foyer ardent d’hostilités contre le système établi ? Peut-il voir d’un œil indifférent des millions d’hommes s’associer contre lui par tous les liens de la nationalité, de la religion, des souvenirs les plus amers et des souffrances présentes ?

Disons-le, s’il n’y a jusqu’ici danger pour personne en Irlande, il y a du moins embarras et difficulté pour tout le monde. Le danger qui n’existe pas encore pourrait naître d’un instant à l’autre. La multitude pourrait échapper au frein qu’O’Connell lui impose. Les agens de l’administration pourraient tout compromettre par une imprudence. Le gouvernement pourrait se trouver entraîné malgré lui à déployer la force. La guerre civile ensanglanterait l’Irlande, ce qui serait chose déplorable pour l’Angleterre et plus encore pour l’Irlande elle-même, dont elle retarderait le progrès et augmenterait les souffrances.

Il y a beaucoup à faire pour l’Irlande, et nous sommes convaincus que nul n’a la prétention de tout obtenir du premier coup. Ce qu’il faut aux Irlandais, c’est la preuve, la conviction, que le gouvernement n’oublie pas leurs intérêts et qu’il se préoccupe incessamment de leur situation et de leur avenir. Une mesure équitable, une concession de quelque valeur dissiperait probablement l’orage qui s’est formé. Sans doute la question ne serait pas complètement résolue, on la verrait renaître au bout de quelques années ; mais à chaque jour suffit sa peine : cela est surtout vrai en politique, où il est souvent aussi dangereux de s’obstiner à ne rien faire qu’imprudent de trop entreprendre à la fois. Le gouvernement anglais est remarquable par cette sagesse pratique qui ne s’engoue pas d’un principe et qui se contente de réaliser successivement ce qui est possible. C’est essentiellement pour les affaires de l’intérieur un gouvernement de transaction ; on peut, si l’on veut, le taxer d’empirisme ; toujours est-il qu’il réalise de grands progrès sans secousses, sans révolutions. Il s’agit aujourd’hui d’appliquer cette conduite active et prudente aux affaires de l’Irlande.

La chambre des députés a terminé aujourd’hui la discussion du budget des dépenses. Le gouvernement a obtenu les deux points qui lui tenaient le plus à cœur, l’effectif et les fonds pour Vincennes. Il a été visible, il faut l’avouer, que la majorité s’est séparée de la commission du budget toutes les fois que la question lui semblait une question de gouvernement, une question politique ; elle a presque toujours suivi l’avis de la commission dans les questions qui lui paraissaient de pure administration. Pour ces questions, le débat est descendu quelquefois, ce nous semble, jusqu’à la lésinerie et à la chicane.

Le cabinet n’a point reçu de coup mortel ; mais la chambre ne lui a pas