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REVUE. — CHRONIQUE.

Bref, l’Angleterre et l’Irlande ne partent pas des mêmes principes, ne parlent pas en réalité le même langage ; elles auront peine à s’entendre sur le fond des choses. Qu’est-ce à dire ? Que la séparation est raisonnable, conforme à la nature des choses, utile à l’une et à l’autre partie ? C’est là sans doute la conséquence que pourrait tirer un de ces esprits purement logiques qui voudraient faire de la politique une sorte de géométrie. Ce n’est pas ainsi que se comportent les choses de ce monde. La séparation ne sera jamais consentie par l’Angleterre et serait funeste à l’Irlande.

Indépendamment de tout intérêt matériel, la réunion de l’Irlande est pour l’Angleterre une question d’honneur et de dignité nationale. Le parlement ne se déjugera pas ; après avoir consenti à un acte aussi important que l’acte d’émancipation, après avoir admis des catholiques à siéger dans son sein, après avoir ainsi surmonté, pour l’amour de la paix et par les conseils d’une sage politique, de profondes répugnances, des antipathies invétérées, l’Angleterre ne voudra pas que ces nobles efforts lui soient inutiles, et qu’ils n’aient d’autre résultat que la séparation de l’Irlande. Ce qui était destiné à cimenter l’union des deux pays ne devrait-il donc servir qu’à la rompre ? L’Irlande de son côté, l’Irlande pauvre, si peu accoutumée à un travail actif, intelligent, régulier, que deviendrait-elle séparée de l’Angleterre, livrée à elle-même, n’ayant plus d’ateliers anglais ouverts à ses ouvriers, ni de capitaux anglais pour ses exploitations ? L’Angleterre et l’Irlande se trouvent dans des conditions économiques qui rendent l’union intime des deux pays utile à l’un et à l’autre. En Angleterre, le capital surabonde ; l’Irlande en manque ; mais elle offre au capital anglais un sol fertile et des bras. Se séparer de l’Angleterre, raviver les antipathies des deux pays, serait aussi insensé que si on voulait élever un mur de séparation et rendre toute communication impossible entre le faubourg Saint-Antoine et la Chaussée-d’Antin.

Ces considérations n’échappent certes pas aux hommes qui exercent le plus d’influence en Irlande. Encore une fois, la demande du repeal nous paraît plutôt un moyen que le but réel de leurs efforts. Que va-t-il donc arriver ? O’Connell veut de l’agitation ; il ne veut pas d’émeute ; du bruit, pas de désordre. De son côté, le gouvernement prend ses précautions, mais ne veut point se faire agresseur. Le bruit ne trouble pas son jugement. Les deux joueurs sont on ne peut pas plus habiles. Le gouvernement contient ses troupes ; O’Connell gouverne ses meetings comme s’ils étaient des corps-d’armée. C’est un ensemble qui ne laisse pas d’offrir un spectacle curieux, intéressant, et qui a ses beautés.

Mais enfin ce drame sans action, tout en récits, durera-t-il éternellement ? Le gouvernement peut sans doute garder long-temps sa position ; O’Connell le peut-il ? Ne finira-t-on pas par se lasser de tous ces sermons politiques dont le thème est connu d’avance, et dont les formes elles-mêmes, par la force des choses, commencent à n’être plus si variées ? La multitude voudra-t-elle se payer toujours de paroles, d’encouragemens, de vaines promesses ?