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REVUE. — CHRONIQUE.

après tout un homme des plus intelligens et des plus distingués de l’Espagne, s’obstine à fermer les yeux sur l’abîme où s’efforcent de le précipiter l’égoïsme, la cupidité, les mauvaises passions de ses divers conseillers. Le régent est encore le chef du gouvernement, le gardien de la reine, l’homme de l’avenir, Il n’a pas été vaincu ; les chances de la lutte matérielle sont encore pour lui. Il est donc maître de lui-même, maître de la situation. Il peut sans honte modifier ses résolutions, arrêter sa marche, appeler dans ses conseils des hommes considérables, offrir avec honneur aux partis une transaction, et mettre fin, sans effusion de sang, à la crise qui menace l’Espagne d’une horrible guerre civile. Nous le disions, il y a quinze jours, nous le répéterons, qu’il s’épargne des malheurs et des regrets, qu’il songe sérieusement à l’avenir de son pays et à son propre avenir.

Pressé par la nécessité, le régent a laissé Madrid dans une situation périlleuse. Un régiment de cavalerie, la milice et Mendizabal, voilà pour la reine et pour la capitale toutes les garanties d’ordre et de paix publique qu’on leur a laissées. Il n’y a certes pas luxe de précautions. Dans cet état de choses, les miliciens de Madrid s’exagèrent leur importance, ils se croient les souverains maîtres ; rien n’est plus naturel. À en juger par les premiers symptômes de cette exaltation, il est à craindre que le gouvernement n’échappe des mains des autorités, et ne devienne la proie d’une sorte de comité de salut public tiré du sein de la milice et soutenu par ses baïonnettes. Est-ce Mendizabal qui opposera une digue à ces débordemens ? Que le régent n’oublie pas qu’il est chargé d’un dépôt sacré, et que le maintien de l’ordre public dans la capitale est le premier de ses devoirs. Si des excès étaient commis ; ils le seraient en son nom, par ses amis, dans l’intérêt de sa puissance ; il en serait moralement responsable. Qu’il s’empresse de rentrer dans Madrid avec des paroles de paix et de conciliation ; toute autre voie peut aboutir au désordre et à d’incalculables malheurs.

O’Connell continue en Irlande le cours de ses incroyables travaux. Cet homme doit être de fer. Mais au milieu de tout ce bruit, de cette agitation incessante, de ces innombrables rassemblemens, de cette foule qu’O’Connell fait à son gré hurler, grogner et rire, on se demande : à quoi cela mène-t-il ? Quel est le but réel, pratique, de tant d’efforts ? O’Connell n’est pas un esprit chimérique : loin de là ; il entend à merveille les affaires de ce bas monde. La séparation de l’Irlande n’est donc pas le but qu’il se propose. Il veut sans doute quelque chose, mais autre chose que le repeal. Le repeal n’est qu’un moyen, un cri de guerre, la formule d’une pétition, comme on l’a dit des incendies à Constantinople. Nous sommes loin de supposer que tout se borne, pour O’Connell, à vouloir quelque chose pour lui et pour ses amis. Non, sans doute. C’est pour l’Irlande qu’il parle, qu’il s’agite, qu’il travaille. Nous ignorons ce qu’il veut ; mais nous reconnaissons que, sans songer au repeal, il y a beaucoup à donner à l’Irlande sans être généreux, en n’étant que juste. C’est là ce que l’Angleterre a peine à comprendre. Elle