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en cendres, qu’exposé à être lui-même écrasé dans la fausse position où sa fougue imprudente l’avait placé, il ne pouvait sauver son corps d’armée que par une convention. Il aura donné contre-ordre au commandant de Monjouich et obtenu ainsi la permission de se retirer. Quoi qu’il en soit, la retraite de Zurbano est un fait important. Qu’il ait dû capituler avec les généraux de l’insurrection, ou qu’il ait dû s’ouvrir de force le passage qui était le moins difficile à franchir et le moins bien gardé, la nouvelle de sa retraite aura du retentissement en Espagne. Peut-être aussi a-t-il trouvé dans ses troupes peu d’élan, peu de résolution ; peut-être lui ont-elles fait comprendre, par leur contenance morne et froide, qu’elles ne s’associeraient pas à ses projets de vengeance, et qu’elles ne se croyaient pas appelées sous le drapeau national pour satisfaire aux caprices de quelques chefs de parti.

À Palencia, le soulèvement s’est opéré d’autant plus facilement, que les troupes y ont adhéré. Le général Amor a pris le commandement des troupes et de la milice. D’un autre côté, le général Serrano, le ministre de la guerre du cabinet Lopez, est rentré en Espagne, et sa présence donnera plus de consistance encore, plus de relief, plus d’unité à l’insurrection. Espartero joue avec hardiesse, nous en tombons d’accord, sa dernière carte. Le succès peut couronner son audace, et jusqu’ici il n’a pas encore contre lui de faits vraiment décisifs ; les chances, après tout, sont encore pour lui. Il peut sortir vainqueur de la lutte où il s’est engagé.

Mais serait-ce là une victoire dont il pourrait se réjouir ? Nullement. Vainqueur ou vaincu, il n’y aurait que déchéance pour lui. Vaincu, il y aurait déchéance matérielle ; vainqueur, il n’échapperait pas à la déchéance morale. L’insurrection ne sera pas écrasée sans effusion de sang, sans guerre civile, sans que la victoire se souille de mille cruautés. De tous ces faits l’opinion publique, l’opinion publique en Espagne, en Europe, en demanderait un compte sévère au régent. « Vous n’aviez, on lui dirait, qu’à vous conformer aux règles les plus vulgaires du régime constitutionnel, et l’Espagne eût attendu, paisible, tranquille, la majorité de la reine, et vous seriez resté l’homme du pays, l’homme ayant bien mérité de la nation. Vous avez préféré le rôle de chef de parti, vous avez immolé à une faction le repos, le bonheur, la dignité de l’Espagne : vous avez triomphé, mais que sont quelques jours d’un pouvoir dont certes nul ne vous envie la possession ? »

Là est la faute, la faute grave, incroyable du régent : il va se placer dans une situation sans issue satisfaisante pour lui. Qu’il tire l’épée, qu’il la plonge dans le sang de ses compatriotes, et il est perdu. Vaincu, il ne lui resterait que la fuite ; vainqueur, il verrait s’éloigner de lui tout homme qui se respecte. Il ne trouverait au bout de sa courte carrière politique qu’un douloureux isolement.

Aussi, au risque d’encourir le reproche de niaiserie et de crédulité, avons-nous encore quelque espérance d’un retour soudain à la raison et au bon sens. Nous ne pouvons pas nous résoudre à croire qu’un homme, qui est