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REVUE. — CHRONIQUE.

de former, les cortès qu’il venait de convoquer ? Quoi ! les rois constitutionnels laissent à leurs ministres le choix des fonctionnaires les plus éminens, et le général Espartero brise tout, bouleverse tout dans un pays qui a un si grand besoin de paix et de repos, parce que son ministère ne veut pas pour agens, dont il est seul responsable, deux officiers du régent. Non ; si fantasque et capricieux qu’il puisse être, il est impossible de croire que c’est là la cause des résolutions extrêmes qu’Espartero vient de prendre. Quel que soit son orgueil, il n’aurait pas compromis pour si peu de chose son propre avenir et l’avenir de la monarchie. Évidemment ce n’était là qu’un prétexte, mais un prétexte qu’il désirait, qu’il cherchait, qu’il attendait avec impatience, et qu’il a saisi avec empressement. Ce qu’il voulait, c’était le triomphe de ses amis politiques ; il aimait mieux être le chef des ayacuchos que le régent de l’Espagne et l’homme de la nation. Napoléon parvint au consulat pour dompter tous les partis et mettre fin aux discordes civiles ; Espartero semble n’avoir pris le pouvoir que pour être l’homme et l’instrument d’un parti, et pour fournir de nouveaux alimens à la guerre civile. Chacun proportionne ses entreprises à sa taille. Napoléon consul quittait Paris pour franchir le Saint-Bernard et se rendre à Marengo ; Espartero quitte Madrid, hier pour faire bombarder la première ville commerciale de l’Espagne, aujourd’hui pour aller ravager Valence.

Pourra-t-il mettre à exécution ces terribles projets ? Nul ne le sait.

Qui pourrait en effet dire à l’avance quelle sera, au moment décisif, l’énergie des insurgés, la fermeté des troupes du régent, l’attitude de cette partie des populations et de l’armée qui paraît encore incertaine ?

Si Espartero obtient un premier succès, un succès décisif, éclatant, il est possible, probable même que l’insurrection se décourage sur tous les points, et que le triomphe des ayacuchos se trouve assuré.

Mais avant que ce succès puisse être obtenu, des évènemens considérables peuvent d’heure en heure venir surprendre le régent, déranger ses combinaisons, lui donner fort à penser, et le ramener peut-être à des idées plus saines et à de plus sages résolutions. Il a déjà appris que le soulèvement devient de plus en plus redoutable, et que ses proclamations, que ses exhortations comme ses menaces, loin de l’arrêter, paraissent lui avoir donné une impulsion plus générale et plus vive.

Les lieutenans d’Espartero se sont montrés barbares par leurs menaces, impuissans dans leurs tentatives. Grenade et Barcelone ont bravé impunément leur colère ; Zurbano, au lieu de forcer les passages pour investir Barcelone, s’est retiré le 25 d’lgualada sur Cervera. La dépêche télégraphique n’explique pas cette retraite, mais le commentaire est facile. Zurbano, engagé dans des défilés, pressé par l’insurrection qui occupe les hauteurs dominantes et les débouchés, n’a probablement effectué sa retraite que par un accord avec le général Castro et le colonel Prim. Il aura reconnu qu’hors d’état de marcher sur la ville qu’il voulait faire bombarder et réduire