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Monjouich brûlera la ville, s’il veut ; il ne lui sera pas donné d’ajouter le meurtre à l’incendie.

Au milieu de cette conflagration presque générale, le régent avait à choisir entre les concessions et les armes, entre la modération et la violence, entre la raison et la force. Le parti de la force l’a emporté. On reprochait à Espartero d’avoir tout sacrifié, les principes d’un gouvernement régulier, la dignité des cortès et du cabinet, l’accord entre les divers pouvoirs de l’état, à deux favoris qui certes ne valaient pas de tels sacrifices : qu’a-t-il fait ? Il a appelé auprès de lui d’autres hommes également repoussés par l’opinion publique, et c’est sous les inspirations, par les conseils, dans l’intérêt de ces hommes, que l’Espagne sera probablement mise à feu et à sang, et qu’on amoncellera ruines sur ruines à Valence, à Barcelone et à Séville. Proh Deus ! Il n’y a pas un de ces hommes qui vaille la plus chétive masure du plus chétif des villages. Philippe II a été appelé le Tibère de l’Espagne, et l’histoire n’a pas menti ; Espartero veut-il en être appelé l’Attila ? il n’en a pas le droit. Attila était un conquérant, et il ne ravageait pas les bourgades des Huns.

Le régent marche lentement sur Valence. C’est à Valence qu’il paraît vouloir frapper le premier coup. Ce n’est que dans les premiers jours de juillet qu’il paraîtra devant la ville qu’il se propose de châtier. Nous ne ferons certes pas de vœux pour une répression qui dépasserait toute mesure, qui ne respecterait rien, ni le sexe ni l’âge, et qui confondrait dans ses sévérités, avec les auteurs du mouvement, les personnes inoffensives, désarmées, étrangères à tout dissentiment politique. Le bombardement de Barcelone nous a montré ce qu’on peut attendre de l’humanité et de la prudence des ayacuchos. Nous pouvons bien tenir notre jugement en suspens sur les querelles des partis dans les pays étrangers, nous pouvons laisser à d’autres le soin de décider entre Lopez et Espartero, entre le parti militaire et la coalition ; mais la cruauté, la vengeance aveugle, le mépris des lois, nous révoltent, et notre indignation est la même, quels que soient les auteurs de ces faits, qui ne sont plus de notre temps ni de nos mœurs. Ainsi que nous l’avons fait lors du bombardement de Barcelone, nous élèverons toujours notre faible voix contre quiconque foulera aux pieds les lois de l’humanité et de la justice. Nous n’avons jamais eu de sympathie pour les hommes qui font consister la politique dans le mépris de tous les principes, et qui voudraient nous ramener au moyen-âge, au règne de la force matérielle.

Espartero avait une belle et grande mission à remplir. Quelle qu’en eût été l’origine, le pouvoir du régent était désormais un fait accompli, reconnu, à la condition toutefois d’en faire oublier les commencemens par une administration régulière et strictement conforme aux principes du gouvernement constitutionnel et aux intérêts nationaux. L’insurrection qui élevait Espartero et remettait en ses mains les destinées de l’Espagne avait-elle pour but de livrer la nation aux caprices d’un général et aux intrigues de ses favoris ? S’attendait-elle qu’il briserait pour des motifs frivoles un cabinet qu’il venait