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exemple qui méritait le regard ; mais quand, au lieu de servir à condenser la pensée sous une forme plus vive, le rhythme ne sait que l’énerver et la distendre ; quand, au lieu d’être une distraction aimable, la poésie devient, chez ceux qui ne sont pas ses vrais élus, une carrière maladive et dangereuse ; en un mot, quand elle n’amène que des exigences sans cause et des aspirations sans résultat, on ne fait, en se montrant sévère, qu’accomplir un strict devoir. En ces temps de trouble moral et d’anarchie littéraire, il est bon qu’un lieu se trouve encore où l’on n’hésite pas à protester contre les superbes exigences, contre les orgueilleuses aberrations. Après avoir rendu hommage, par une suite d’études sympathiques et indépendantes, aux plus glorieux représentans de l’art contemporain, pourquoi n’essaierait-on pas aussi de restituer leur vraie place à tant de souverainetés douteuses ? pourquoi craindrait-on de toucher à tant de sceptres fragiles ? La petite histoire a ses enseignemens comme la grande ; il y a là toute une galerie piquante et instructive qu’il ne faut pas dédaigner. Après tout, cette classification de minores est plus bienveillante qu’elle ne semble : à combien de minimi, en effet, à combien de pejores, qui autrement n’eussent obtenu que le silence, ne donnera-t-elle pas asile ? Et puis, y aurait-il beaucoup d’habileté à se piquer, en cet âge de rénovation poétique, d’être mis au second rang ? Il est toujours imprudent de se ranger entre les majores ; les royautés qui se proclament elles-mêmes sont rarement acceptées par la foule. Qu’importent d’ailleurs les irritables susceptibilités de l’amour-propre ? Puisque les poètes inférieurs prétendent avoir une mission, il faut bien que le bon sens à son tour ait la sienne.


Charles Labitte.