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POETÆ MINORES.

tions appelées à continuer ce mouvement, une intervention propre, un peu d’inspiration nouvelle. Malheureusement aucune de ces espérances ne s’est jusqu’ici réalisée. Tandis que les maîtres s’égaraient trop souvent dans des voies fâcheuses, les natures secondaires, abandonnées à elles-mêmes, se firent illusion sur leur rôle, et, prétendant à l’esprit inventif, n’arrivèrent qu’à défigurer leurs plagiats en les exagérant ; d’un autre côté, les écrivains qui offraient à la poésie le tribut de la jeunesse, se voyant saufs, dès le début, de toute solidarité littéraire, s’imaginèrent bientôt apporter des créations quand ils ne donnaient que des copies. Chez ceux qui n’avaient pas le sceptre l’indiscipline, chez ceux qui débutaient le manque d’originalité, chez tous les suggestions de l’amour-propre amenèrent la situation mauvaise où nous sommes, situation inquiétante et d’où l’on ne saurait se tirer qu’en recommandant de plus en plus le travail à qui a le talent, le silence à qui n’est pas doué. Le conseil rajeunit avec les siècles :

Mediocribus esse poetis
Non, homines, non Di, non concessere columnæ
.

Il faut bien que les débutans en soient convaincus, quand une école est régnante et qu’elle a eu des interprètes écoutés, on ne peut aspirer à la remplacer ou à la poursuivre dignement qu’à la condition de s’appartenir, qu’en ayant la main assez robuste pour porter à son tour le drapeau. Or, rien de pareil ne se révèle dans ces innombrables holocaustes que la vanité vient sans cesse offrir aux pieds de la déesse implacable. Partout, quoiqu’il se déguise, l’esprit d’imitation est manifeste. Une remarque me frappe : presque tous les poètes célèbres de notre époque ont rencontré dès le premier jour leur veine, l’élan propre de leur talent ; presque tous ont conquis du premier coup la place qui leur était due. Aujourd’hui, au contraire, il n’y a que des essais ternes, sans avenir, sans vie ; aucun astre ne se lève, et l’œil se perd à l’horizon dans cette pâle voie lactée où chaque étoile scintille de près, et s’efface à distance en un entassement de lumière opaque et indistincte. Lorsqu’on est arrivé à une pareille dispersion de la faculté poétique, qu’a de mieux à faire le public que de réserver son attention exclusive aux génies vraiment créateurs ? Sans doute il est bon que le monde ne cesse pas d’apporter discrètement son offrande à la muse, il est bon que l’amour désintéressé de l’art produise çà et là des essais délicats et sans prétention : rien n’est plus légitime, et nous en avons vu plus d’un